La campagne de Tunisie
La guerre s’étend en Afrique du Nord avec le débarquement américain et l’arrivée des renforts allemands en Tunisie avec l’accord de Vichy.
L’armée française d’Afrique, après s’être opposée temporairement (1825 morts) aux Anglo-Américains, combat à leurs côtés contre les troupes de l’Axe en Tunisie. Après l’invasion de la zone sud, de nombreux officiers de l’armée d’armistice rejoignent les Alliés pour reprendre la lutte.
A l’issue de la conquête des oasis du Fezzan, Leclerc convainc le général Montgomery le 26 janvier 1943, de l’engager en Tunisie pour créer un second front contre les forces germano-italiennes.
La participation des Forces françaises combattantes sur ce théâtre d’opérations est importante pour le général de Gaulle, tenu à l’écart des négociations politiques d’Alger par les Alliés.
Le chef de la France Libre a donné l’ordre, dès le 17 janvier 1943, au général de Larminat, commandant ces forces pour ” qu’elles participent dans la plus large mesure possible, à la bataille aux côtés de la 8e armée britannique “.
La colonne volante du colonel Rémy et trois compagnies de chars, du génie et de transmission, renforcent la colonne Leclerc.
Rééquipée par les Anglais, elle s’enrichit d’une centaine d’officiers grecs de l’Escadron sacré du colonel Gigantès et prend le nom de Force L . Montgomery confie à Leclerc la couverture du flanc gauche de sa 8e armée le long de la ligne Mareth, ligne de fortification du sud-tunisien.
La Force L pénètre en Tunisie, le 20 février 1943.
Le 10 mars, à Ksar Rhilane, elle se heurte au groupement de reconnaissance allemand de la 90e panzerdivision chargée d’empêcher la 8e armée de déborder la ligne Mareth.
La Force L arrête l’ennemi, tient fermement la position avec l’aide de la Royal Air Force malgré des moyens peu adaptés au combat contre des blindés.
Montgomery gratifie les Français d’un ” Well done ! ” ” bien joué “
La Force L facilite ensuite la prise de Gabès, le 29 mars, puis certains de ces éléments s’emparent avec beaucoup de difficultés du Djebel Garci, au nord de Kairouan, le 20 avril.
Le 10 mai, un détachement entre à Tunis avec la 8e armée britannique.
La célébration de la victoire à Tunis le 20 mai, souligne toutefois les antagonismes existant entre l’armée d’Afrique
et les Forces françaises libres qui défilent séparément.
Surmontant ces divergences, Leclerc réussit à adjoindre des unités de l’armée d’Afrique aux Forces françaises libres
pour former la 2e Division blindée.
Christine LEVISSE-TOUZE
Directrice du Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin
TUNISIE
Extrait de “LE GENERAL LECLERC Vu par ses compagnons de combat”
Editions ALSATIA – PARIS 1949
REMISE à neuf en un temps record, étoffée de moyens mieux adaptés à la lutte contre l’Allemand, — adversaire d’une tout autre classe que l’armée italienne ! — quelque peu modifiée dans son aspect mais non dans sa farouche détermination, la colonne Leclerc, devenue « Force L », atteignit le 19 février Nalut où elle incorpora rapidement une vaillante et pittoresque unité grecque, l’Escadron Sacré, presque uniquement composée d’officiers et équipée de dix-huit Jeeps hérissées d’armes l.(Au grand regret du commandant de cette unité, le colonel Cigantes, il n’y aura pas d’occasion d’utiliser cet escadron en bloc, mais ses voitures précieuses et leurs équipages dynamiques seront de toutes les fêtes, répartis dans tous nos groupements).
Couvrant le flanc gauche de la VIIIe armée pendant l’attaque de la ligne Mareth, la « Force L » avait pour mission d’intervenir dans la région de Ksar Tarcine dans le Sud Tunisien.
Pour nécessaire qu’elle fût, cette mission ne revêtait cependant qu’une importance secondaire dans les plans de l’état-major britannique, celle d’une simple diversion. Habitués à travailler avec des forces puissantes, largement pourvues en hommes et en matériel, nos alliés n’étaient pas en effet sans nourrir quelques craintes quant aux résultats d’un choc opposant les blindés modernes de l’Afrika Korps — Mark III et IV — à nos vulgaires « caisses à savon » venues du Tchad, — modestes camions Ford ou Chevrolet ! — C’est pourquoi, soucieux de nous éviter une bataille trop dure, le général Montgomery avait choisi de nous engager loin du théâtre principal, à l’ouest du massif des Matmata, sur des terrains sablonneux se rapprochant beaucoup de ceux que nous venions de parcourir durant trois ans, éminemment peu favorables aux chars. Si nous y gagnions en indépendance, nous y perdions en efficacité, chose qui n’était guère pour plaire au général Leclerc, plus que jamais désireux de jouer un grand rôle dans une lutte dont l’enjeu devenait la libération d’une partie du domaine de la France. S’inclinant cependant devant les nécessités stratégiques et tactiques réduisant la colonne du Tchad à la dimension de simple rouage d’une formidable machine de guerre, il était décidé à mettre à profit toutes occasions pour vaincre l’oubli, gagner la confiance du haut commandement et obtenir ainsi des mis-sions plus importantes, mieux en rapport avec la part que la France se devait de prendre dans la libération de son propre territoire.
Profondément imprégné de ce désir de servir hautement l’intérêt national, le général Leclerc allait faire mieux encore et arracher par sa virtuosité l’hommage public de nos alliés !
A Nalut, le général reçut des renseignements tels qu’il décida de passer le djebel en dehors de toute piste, par un point nommé Bir Amir. La décision pouvait paraître audacieuse et risquait de soulever de vives critiques en cas d’insuccès… Un mois plus tard, après l’échec de l’attaque frontale de la ligne Mareth, les milliers de voitures du corps néo-zélandais passeront également par Bir Amir pour attaquer Gabès à revers !
Filant en plein bled, — saluant au passage le pavillon tricolore du poste français de Remada, premier symbole du réveil après les sombres heures de Vichy, — l’avant-garde de la « Force L » arriva dans la région de Ksar Tarcine-Ksar Rhilane le 23 février dans l’après-midi. Les Allemands y étaient, mais, après un bref combat et malgré l’intervention meurtrière des Stukas, ils durent se replier et nos unités occupèrent les deux postes.
La première partie de la mission était accomplie, restait la seconde : tenir…
Véritable couloir nord-sud, bordé à l’ouest par le grand Erg oriental, — mer de sable impénétrable aux voitures, — et à l’est par le Djebel Outid, — le « caillou », en jargon saharien, — la région de Ksar Rhilane se présentait comme une bande de dunes mortes, recouvertes d’une maigre végétation, large d’une quinzaine de kilomètres. Quelques dunes plus élevées servaient de postes d’observation, les unes aux Allemands, les autres à nous.
Voie d’accès possible vers Tripoli, itinéraire éventuel pour une contre-attaque visant à prendre à revers les unités alliées menant l’attaque frontale en bordure de la mer, cette sorte de défilé offrait trop d’intérêt pour l’ennemi pour que, revenu de sa surprise, il n’essaie pas d’en reprendre le contrôle. Une solide organisation défensive de notre part s’imposait.
Basant provisoirement sa ligne de résistance sur deux points d’appui, l’un sur la dune, l’autre sur le caillou, le général Leclerc n’était pas homme à attendre l’assaut sans rien faire. Adoptant un système très souple, déplaçant chaque nuit ses avant-postes, ordonnant patrouilles sur patrouilles, il acquit rapidement une connaissance approfondie du terrain, tandis que les Allemands, hébétés, limitaient leur action à quelques tirs d’artillerie ou mitraillages aériens. Toujours très au fait de la situation générale, le général Leclerc adaptait sa défense aux risques quotidiens et, à la suite de la contre-attaque allemande sur Medenine, il décida de regrouper tous ses moyens d’infanterie sur le point d’appui de Ksar Rhilane, tandis que tous les véhicules seraient camouflés dans les buissons de siwak. Les différentes compagnies, aux ordres du commandant Vezinet, tiendraient un arc de cercle solidement adossé à la dune.
Les choses en étaient là lorsque, le 9 mars 1943, le général Leclerc fut convoqué de toute urgence chez le général Montgomery, de l’autre côté de la montagne, pour apprendre que nous serions contre-attaqués le lendemain par la 90e Panzer Grenadier Division.
Montgomery, qui connaissait la force redoutable de cette grande unité allemande, et aussi le faible effectif et le médiocre armement dont nous pouvions disposer, nous suggérait un repli de quatre-vingts kilomètres vers le sud, pour éviter le choc…
La nouvelle était d’importance, certes, mais cette idée de repli était fort loin de plaire à notre chef.
Considérant que la position minutieusement organisée de Ksar Rhilane était bonne et pouvait être défendue, considérant par contre que nos véhicules fatigués par la traversée du désert risquaient de nous lâcher pendant le mouvement de retraite et que, si les Allemands réussissaient à nous rattraper et à attaquer notre colonne en marche, ce serait la catastrophe à coup sûr, il proposa au général anglais de résister sur place, à condition toutefois de disposer de l’appui maximum de la R. A. F.
Sportivement, Montgomery accepta et, fort de l’assurance d’un soutien aérien sans réserve, le général Leclerc s’envola vers dix-sept heures dans un petit avion anglais afin d’aller plus vite donner ses ordres à Ksar Rhilane. Chemin faisant, il jugea que nos positions étaient telles qu’elles ne pourraient rien gagner à des aménagements de dernière heure, et s’il prévint le commandant Vezinet de l’attaque pour le lendemain, il lui interdit d’alerter les unités pour éviter le moindre énervement. Marquant ainsi sa grande confiance dans ses troupes, le général prenait un grand risque qui devait nous sauver, car l’attaque allemande tomba sur des troupes parfaitement calmes et reposées, qui combattirent avec une discipline extraordi-naire.
La nuit se passa donc sans encombre, mais le 10 mars, vers six heures du matin, nos guetteurs signalèrent l’arrivée des premières colonnes blindées adverses. Le sort était jeté, la première bataille des hommes du Tchad contre l’armée allemande allait commencer, il fallait que ce soit une victoire.
Salués de quelques tirs d’artillerie, nos avant-postes décrochent rapidement et l’ennemi qui n’y voit rien hésite.
Dans ce paysage lunaire, où tous les détails se ressemblent, il faut plusieurs jours pour se repérer convenablement et les Allemands, mal guidés, ne savent où nous trouver. Sachant fort bien que les difficultés de repérage seraient son meilleur atout, le général Leclerc avait insisté la veille auprès du commandant de la position pour que les tirs ne soient déclenchés qu’à bonne portée, sans riposte possible, afin que notre dispositif, merveilleusement camouflé, puisse obtenir le rendement maximum.
De fait, l’Allemand sera dans l’incertitude la plus totale tout au long de la journée et ne pourra monter aucune action d’envergure. Chaque fois qu’il s’approchera pour tâter notre position, il se verra cloué sur place et aucun de ses véhicules n’aura même le temps de faire demi-tour pour préciser les objectifs possibles, tandis que les avions anglais bombarderont efficacement les blindés ennemis, qui, tout désorientés, se présenteront à leurs coups. De son côté, l’aviation allemande, malgré de nombreuses attaques en rase mottes, ne détruira pas une seule de nos voitures, mais se heurtera en fin de journée à une sérieuse patrouille de chasseurs de la R.A.F. !
Constamment tenue en échec, littéralement dégoûtée d’un tel adversaire insaisissable, la division allemande se replia vers dix-huit heures, sans avoir pu atteindre aucun de ses nombreux objectifs.
Ksar Rhilane avait tenu…, les « caisses à savon » venaient de barrer la route aux orgueilleux « Panzer » de Rommel !
Le plus surpris de cette victoire fut sans doute le général Montgomery lui-même.
N’avait-il pas déclaré à son état-major en se mettant à table vers midi : « Ça doit chauffer à Ksar Rhilane. Ce brave Leclerc, il était bien sympa-thique…, mais maintenant c’est fini, nous ne le verrons plus! »
Aussi, lorsqu’il reçut en fin de journée le compte rendu suivant : « L’ennemi est en retraite vers le Nord; il a perdu soixante voitures, dix canons et n’a jamais pu pénétrer dans notre position; nous avons une dizaine de nos hommes hors de combat », ne put-il s’empêcher d’envoyer par radio most immédiate le télégramme suivant : « Well done ! » — Bien joué! — marque suprême de satisfaction de la part d’un flegmatique général britannique.
Le général Leclerc, rayonnant, parcourut la position jusqu’à la nuit et, rentré à son P. C., adressa à ses troupes l’ordre du jour que voici :
« Les boches voulaient prendre Ksar Rhilane. Ils ont « attaqué avec environ cinquante engins blindés.
Les « troupes du Tchad, aidées de leurs camarades britanniques « et grecs, leur ont infligé un échec certain et fait subir des pertes sérieuses.
« Le premier contact avec le boche a été une victoire, les « autres le seront aussi!
« Vive le général de Gaulle ! Vive la France ! »
N’ayant pu réussir à prendre la ligne Mareth par son attaque de front, le général Montgomery décida de suivre la voie tracée par la « Force L » et de tourner les positions allemandes et les monts des Matmata par l’ouest.
Pour cette opération, la « Force L » serait placée sous le commandement du commandant du corps d’armée néo-zélandais, le général Freyberg, guerrier magnifique et homme très sympathique qui offrit au général Leclerc, dès sa première visite, des boîtes de lait et des conserves d’huîtres de son pays avec la recette d’une extraordinaire soupe à confectionner avec son cadeau. Ceci posé, il lui demanda en outre de prendre l’observatoire du Djebel Outid qui aurait pu gêner son passage !
Ayant conquis l’objectif demandé, le général Leclerc se plaça de façon à voir passer le corps d’armée en attendant une nouvelle mission.
Des “bull-dozers ” ouvraient la marche, rasant tous les talus et égalisant les moindres bosses du terrain, suivis de milliers de voitures roulant sur six colonnes, écrasant tout sur leur passage, protégées d’une véritable ombrelle de chasseurs de la R. A. F.
Le spectacle en était vraiment impressionnant, mais le contraste entre les Chevrolet du Tchad et les chars britanniques ne fournissait qu’une preuve supplémentaire du chemin difficile restant à parcourir par la France pour reprendre son vrai visage de grande puissance.
L’effort de redressement entrepris par un jour de décembre 1940 ne pouvait souffrir la moindre relâche, seule une activité débordante pourrait nous permettre de brûler les étapes et de rendre au pays la place qu’il n’aurait jamais dû perdre.
Jour et nuit, le corps néo-zélandais défila, mais la « Force L » ne recevait aucun ordre. Ne tenant plus en place, le général Leclerc décida de se rendre auprès du général Freyberg, réclamer la mission à laquelle il considérait que le succès de Ksar Rhilane lui donnait droit. Parti seul, au grand dam de son fidèle aide de camp, il rejoignit le commandant du corps dans la région du Djebel Mattleb, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Gabès, dans la soirée du 22 mars.
Préparant l’attaque de cette dernière ville, le général Freyberg se heurtait alors à une solide ligne de défense appuyée sur deux massifs montagneux, placée exactement sur l’emplacement d’une ancienne muraille romaine. Absorbé par ses soucis, le général britannique avait bien en effet oublié la « Force L », mais c’est avec joie qu’il vit arriver notre chef. Il fallait manœuvrer par les montagnes, dans une région difficile, peu perméable aux voitures, et le général Freyberg était perplexe. Saisissant l’occasion, — il aurait accepté n’importe quelle mission dans son avidité de combattre, — le général Leclerc proposa aussitôt ses services et, utilisant la radio du P. C. du corps, lança sans plus tarder l’ordre à ses unités de rejoindre.
Bouillant d’impatience, il était déjà sur le terrain, menant seul ses reconnaissances préalables, lorsque, le 23 au matin, les deux premières compagnies arrivèrent.
Chargé du débordement par la droite, il part avec la compagnie de tête, escalade les premières pentes et atteint les premiers objectifs avant même que la 2e compagnie ait pu descendre de ses camions ! La position nous donne des vues excellentes que l’artilleur de la « Force L », le colonel Crépin, exploite avec efficacité, à l’aide du seul canon encore arrivé, et gêne les Allemands qui ripostent vivement. Les tirs partent d’un djebel terminé par un véritable à pic… Qu’importé, le général ordonne aussitôt une nouvelle attaque, le djebel est emporté et une patrouille reçoit la capitulation de quarante-six Italiens terrorisés par cette avance diabolique. Des mouvements analogues se poursuivent toute la journée, animés par le général lui-même, et dans la soirée l’ensemble du massif nous appartient.
La journée du 24 est employée à l’organisation des positions conquises, tandis que les Allemands contre-attaquent et sont mis en fuite par une charge à la baïonnette que nos tirailleurs exécutent en hurlant à la mode du Tchad, et qui ne paraît pas convenir aux soldats justement réputés de l’Afrika Korps !
Le 25, notre conquête est complétée par la prise d’un dernier piton d’où le général assiste le lendemain au spectacle grandiose de la progression dans la plaine de la lre division blindée britannique, soutenue par cinq cents avions de chasse.
C’est le signal pour nous de la reprise en avant, la progression se poursuit au clair de lune, à travers le front ennemi crevé, et le 29, au matin, nos premiers éléments pénètrent dans Gabès, première ville française libérée.
Ce sont alors les premières maisons pavoisées de tricolore, les premières acclamations des populations civiles, le premier Te Deum, prélude de tant de libérations semblables… Pour tous ceux qui n’étaient pas à Tripoli, c’est aussi le premier contact avec la mer, sujet d’ébahissement profond pour les Noirs et d’émotion poignante pour les Blancs…
Gabès prise, il y avait encore une ligne de résistance allemande à enfoncer au nord de la ville, sur l’oued Akarit appuyée sur un massif montagneux. Pour cette opération, la « Force L » reprit sa place à l’extrême gauche de la VIIIe armée, ne joua qu’un rôle modeste dans la bataille de rupture, mais se trouva, du simple fait de sa position excentrique, désagréablement handicapée pour la suite : la percée faite, il ne restait qu’une route, d’ailleurs détruite, pour pousser vers le Nord, et, comble de malheur, l’état -major décidait de nous faire passer bons derniers…
Ne décolérant pas, le général Leclerc se jura d’avoir sa revanche.
Débouchant à l’aube du 8 avril derrière tout le monde, et reprenant aussitôt sa place sur le flanc gauche de l’armée, il prit la tête de l’avant-garde, fixant lui-même l’allure : à onze heures, il atteignait la ligne fixée par le haut commandement, mais, outrepassant les ordres reçus, il poursuivait avec une patrouille légère sur Mezzouna qu’il occupait le lendemain matin. Quoique partis les derniers, les Français au premier soir de poursuite se trouvaient ainsi en tête de la VIIIe armée, dont l’état-major, étonné par cette avance fulgurante, faisait répéter le télégramme indiquant la ligne atteinte par la «Force L»,croyant à une erreur des transmissions… Telle était la façon du général Leclerc de manifester son mécontentement !
Le 12 avril, poursuivant l’exploitation, la « Force L » passait à Kairouan et s’arrêtait avec l’ensemble de la VIIIe armée au sud de la presqu’île du cap Bon, au pied des hauteurs du Zaghouan. Un régiment britannique d’anti-chars l’avait suivie depuis Gabès, prenant part à tous ses engagements. Sans doute, les méthodes de combat du général Leclerc paraissaient-elles inhabituelles au colonel commandant, car, au cours d’une entrevue avec son général de corps d’armée, après avoir fait mille éloges de la conduite des Français, il demanda en confidence à être relevé d’avec la « Force L » et attaché cette fois « à des gens craignant Dieu » !
Le Zaghouan atteint, il n’y eut plus de combats de rencontre avec les blindés ennemis, plus de grandes attaques, mais une vie de secteur, animée de quelques patrouilles et de quelques bombardements jusqu’à la prise de Tunis, le 8 mai, et la capitulation des armées de l’Axe, rassemblées dans un étroit espace comme du gibier en fin de battue.
A Tunis, nos hommes, dans leurs voitures héroïques et pittoresques, eurent le succès que méritaient leur longue aventure et leurs combats heureux. Fiers d’avoir participé à cette victoire, ils étaient sûrs d’avoir acquis le droit à la seule récompense désirée : participer bientôt à la libération de la France!
A la fin de la campagne de Tunisie, la « Force L » occupa un petit secteur près de la côte et loin des villes, où l’on put réparer les voitures, reposer les anciens et instruire les recrues qui venaient s’engager en grand nombre.
Pour récompenser ses hommes, dont beaucoup avaient vécu en Afrique centrale depuis plus de quatre ans, et aussi pour montrer en Afrique le vrai visage de la France Libre, le général Leclerc accorda assez libéralement des permissions pour l’Algérie et le Maroc. Les permissionnaires partaient par détachements encadrés, sur nos camions couleur de sable qui éveillaient une grande curiosité sur leur passage. Dans chaque ville, les patriotes se disputaient les soldats de « l’armée Leclerc » qui trouvaient dans les foyers de l’Afrique du Nord un avant-goût de ce que pourrait être leur retour en France, et le passage de ces quelques centaines d’hommes libres, gais et victorieux fit circuler un air nouveau dans l’atmosphère un peu renfermée de l’Afrique du Nord.
Pendant toute cette période, le général Leclerc vit venir à lui d’anciens amis et beaucoup d’inconnus, les uns -ayant conservé au milieu des événements un jugement simple et droit, les autres — plus nombreux — se montrant torturés de scrupules, hantés par des idées fausses, cherchant des explications compliquées aux faits les plus simples. Des amis trop bouillants et des ennemis trop intéressés tentèrent de l’attirer dans leur jeu. Il déjoua ces manœuvres, non parce qu’il était plus rusé qu’eux, mais parce qu’il était plus droit, plus sûr de lui et il devint rapidement pour une audience sans cesse croissante l’image vivante de la conscience française.
Sans haine et sans faiblesse, il éclairait par des vues simples les problèmes embrouillés par des questions de personnes. Nul ne put le mettre en contradiction avec lui-même, car les années étaient passées sans que le patriotisme ait pu changer de sens pour lui. Certains de ceux qui le trouvaient intransigeant déformèrent ses paroles pour le présenter comme un sectaire, mais il était si clair que le mensonge ne put jamais rien contre lui…
A Alger, où il était allé saluer le général de Gaulle, le général Leclerc apprit une mauvaise nouvelle. Craignant de voir nos unités françaises libres appuyer l’action menée à Alger par leur chef, les autorités françaises « légales » avaient décidé de leur faire quitter le territoire français qu’elles avaient libéré et de les renvoyer en Tripolitaine avec les unités britanniques !… Les protestations furent sans effet…, on coupait les vivres ! Il fallut donc s’exécuter et gagner Sabratha, ancienne villa romaine au bord de la mer, à quelques kilomètres de Tripoli.
Devenus par décision du général de Gaulle « 2e division française libre », — la première étant celle qui, après s’être illustrée à Bir Hakeim, avait participé à la campagne de Cyrénaïque, Tripolitaine et Tunisie avec l’armée Montgomery, — il nous fallait encore mériter ce titre en incorporant suffisamment d’hommes et en recevant assez de matériel.
Les hommes arrivaient de l’Afrique française libre, d’Angleterre, de France via l’Espagne et surtout d’Afrique du Nord où le prestige de « l’armée Leclerc » était assez grand pour provoquer, malgré les autorités, la venue d’un grand nombre d’engagés volontaires. Le matériel d’instruction était fourni libéralement par la VIIIe armée, et, dans la chaleur de juillet, les unités montées sur type anglais commençaient à prendre tournure.
Le roi d’Angleterre vint inspecter la VIIIe armée à Tripoli. En lui présentant le général Leclerc, le général Montgomery dit à George VI : « Sire, voici le général Leclerc. Sans lui, je n’aurais pas pris la ligne Mareth. »
Pendant que cadres et recrues étaient instruits suivant les méthodes britanniques pour devenir une division blindée, nous dûmes nous séparer de nos tirailleurs noirs. Les uns furent versés à la 1re division française libre, les autres reprirent le chemin du Sud à travers les cailloux et les sables, avec leurs souvenirs de combats qui seraient pour eux les derniers.
Leurs camarades européens les regrettaient non seulement pour leur bonne tenue au feu, mais pour leur gentillesse et leur gaîté. Pendant nos campagnes, nous vivions par équipages ; la voiture portait les vivres et l’eau pour tous : officiers, soldats et tirailleurs mangeaient ensemble, couchaient côte à côte et partageaient la même vie vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La discipline n’en souffrait pas, parce que c’étaient de bons chefs et de bons soldats.
La solidarité au combat était magnifique et, pour ramener un tirailleur blessé, n’importe quel officier aurait risqué de se faire tuer et réciproquement. Ainsi s’écoulait la vie à Sabratha, exercices et instruction, organisation d’unités et perception de matériel; les distractions : permissions à Tripoli et bains de mer, tandis que le succès du débarquement en Sicile augmentait notre conviction d’une victoire finale prochaine. Le général de Gaulle prenait chaque jour plus de poids dans les conseils d’Alger et notre absurde exil prit fin en août 1943.
Les autorités militaires d’Alger, réticentes à notre venue en Afrique du Nord, décidaient alors de faire stationner la 1re division française libre en Tunisie et la 2e division française libre dans l’Est algérien.
Mais le général Leclerc préférait le Maroc où l’instruction de la nouvelle 2e division blindée serait facilitée, ainsi que la préparation matérielle et morale de ses unités. Sa détermination et son initiative eurent raison des bureaux et, en septembre, le général Leclerc gagna Casablanca, où ses troupes le rejoignirent après un nouveau déplacement de deux mille cinq cents kilomètres.
Extraits des carnets de route
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Ceux de Leclerc en Tunisie
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