13e BATAILLON du GÉNIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 


LE 13e BATAILLON DU GÉNIE

 

Extrait de LA 2e DB – Général Leclerc – Combattants et Combats – EN FRANCE

 

IL y a quatre ans, perdus au fond de la brousse africaine, quelques rares Français se groupent autour du colonel Leclerc, avec des moyens plus que réduits. En plus du climat, contre lequel il faut lutter, chaque jour apporte des difficultés de tous ordres : elles sont vaincues à coups d’énergie et de volonté. C’est ainsi que prend forme la future « Colonne Leclerc ». Le Génie, ce n’est pour le moment qu’une section de ponts de circonstance née à Yaoundé et commandée par le lieutenant Terver. Il ne cessera de s’augmenter pour faire face aux nombreux problèmes que posent la vie et le combat dans ce pays. Assez réduit, ce Génie, mais, né dans de telles conditions, il porte déjà en lui l’esprit du futur 13e Bataillon : allant et persévérance.
C’est cependant aux rivages lointains de la Méditerranée, en Syrie, où aussi la France s’est remise en route, que va naître le noyau de ce Bataillon. A l’origine : la compagnie de pontonniers des F.F.L., recrutée par engagements volontaires et commandée par le lieutenant Fracque.
Un officier de Beyrouth, le chef de bataillon Gravier, commande le génie déjà plus étoffé qui organise Bir Hakeim. Quand ordre fut donné au général Kœnig d’évacuer le carré de sable où il avait tenu tête seize jours aux furieux assauts allemands et italiens, Gravier sort parmi les premiers, se fraie un passage à la grenade, perd un œil. A peine rétabli, il rejoint le général Leclerc à Sabratha, en Tripolitaine, et forme ce 13e Bataillon du génie qui, à côté des éléments du Tchad qu’il a absorbés et de tous les renforts qu’il a reçus d’Afrique du Nord et de France, compte encore un important contingent de Libanais solides et dévoués.
Voilà le noyau, l’âme qui anime aujourd’hui ce puissant organisme qu’est le 13e Bataillon. Quatre cents véhicules s’allongeant sur 25 kilomètres de route, soit deux fois la distance de la porte de Neuilly à la porte de Vincennes. Capacité de transport : 800 tonnes. 200 tonnes peuvent être soulevées en même temps par 48 engins de levage. Puissance d’arrachement par les treuils : 2.000 tonnes. Le Génie de division blindée est capable d’arracher de ses rails deux trains lourdement chargés.
Tous ces véhicules, toute cette force de traction et de levage, tous ces bateaux pneumatiques, ces poutres, ces outils se répartissent en six compagnies, quatre de combat, une d’équipage de ponts, une de commandement, avec une section de reconnaissance (section de combat riche en effectifs) et les éléments indispensables à la vie d’un corps motorisé : atelier régimentaire, échelon essence, etc.
En 1939-1940, une division n’avait qu’un bataillon à deux compagnies de sapeurs-mineurs. Et ce n’est qu’à l’échelon corps d’armée qu’apparaissait une compagnie d’équipages de ponts : encore celle-ci n’était-elle qu’un élément de transport, le pont lui-même devait être fourni par l’armée.
Mais ce n’est ni dans la composition ni dans l’augmentation des effectifs et des véhicules que se mesure la différence, c’est dans la puissance et l’efficacité. Le sapeur-mineur de 1939-1940, le trop fameux «homme-pelle » et «homme-pioche» dont une savante combinaison donnait un total d’ «hommes-jours », devenu le conducteur de l’un de ces puissants engins de terrassement que sont les six angledozers, fournit à lui seul le travail d’une compagnie. Les dix camions compresseurs compriment plus de 200 mètres cubes d’air par minute et alimentent un matériel de sciage et d’outils pneumatiques comparable à celui des grandes entreprises de travaux publics. Les vingt brockways transportent et posent pour nos chars de 35 tonnes 340 mètres de pontage, dont 220 peuvent être jetés sur bateaux pneumatiques, le reste sur chevalets.

Tels sont les moyens dont dispose le Génie. Où et comment se répartissent-ils au combat? Le sapeur, avant tout combattant, se présente à la pointe de combat offensif, mode de combat propre de la Division blindée.
Chaque groupement tactique comprend une compagnie du Génie. Sur chaque axe de progression, un élément du Génie, section ou escouade, souvent renforcé d’un ou de deux camions d’équipages de ponts, progresse très près des pointes d’attaque, parfois immédiatement derrière le char de tête. Les comblements d’entonnoirs, le nettoyage d’itinéraires, les déviations, le déminage, l’aménagement des gués, les ponts de longueurs plus ou moins grandes conditionnent l’avance des blindés, puissants mais lourds. Dès que les automitrailleuses, les Sherman ou les tanks-destroyers se heurtent à des abatis presque toujours piégés, à des zones minées, à des coupures d’eau, de routes, à des fossés antichars, le Génie double les colonnes, se porte en tête et s’affaire sous les yeux de l’Allemand, malgré ses feux de mitrailleuses, son barrage d’artillerie ou de mortiers. Il faut faire vite. Une percée rapide, c’est la surprise de l’ennemi, c’est l’exploitation fructueuse, des villes et des villages sauvés de la destruction, des ponts pris intacts, des régions entières libérées que l’ennemi n’aura pas eu le temps de miner. Jamais le Génie n’a failli à cette mission.

Suivons maintenant notre sapeur dans les différentes phases de la bataille. Pontonnier, bâtisseur de routes, démineur, toujours dans l’action, il fait également le coup de feu, et c’est justement dans une action d’infanterie que nous allons d’abord le rencontrer.

*

Paris, 25 août 1944. – – Une colonne reçoit l’ordre d’enlever l’Ecole militaire. L’infanterie combat quelque part ailleurs; le sapeur fera donc œuvre de fantassin. Les Sherman s’approchent de l’Ecole, dont les fenêtres et soupiraux de caves, barricadés, sont transformés en blockhaus. Les larges avenues se prêtent admirablement aux feux croisés des armes automatiques. Ordre est donné de prendre l’Ecole militaire d’assaut. Les sapeurs, dont il faut contenir l’ardeur, bourrent leurs poches de grenades. Un char tire sur une porte et la détruit. Cinq Sherman se ruent dans la cour. Les sapeurs, en trois colonnes, foncent et traversent le barrage des mitrailleuses. Quelques blessés se pansent rapidement et rejoignent au cours de l’action. Une fenêtre est défoncée et par cette fissure les hommes s’introduisent dans la place. Par groupes de deux ou trois, ils se précipitent dans les locaux. Les caves sont prises une à une. On se bat dans l’ombre au corps à corps, mais, pas à pas, l’Allemand se défend avec rage. La lutte s’étend bientôt à tous les étages. Couloirs où crépitent les mitraillettes et les pistolets, pièces dont on défonce les portes grenades à la main. Deux longues heures, le combat se poursuit, tenace, pendant que les chars tirent dans les meurtrières. Puis peu à peu le calme revient. L’ennemi a 50 morts; 250 prisonniers se rassemblent dans la cour. l’Ecole militaire est conquise de haute lutte. Les 60 sapeurs prennent un instant de repos.

Châtel-Nomexy, 22 septembre 1944. C’est là que la Division doit franchir la Moselle et déborder la défense d’Epinal. Trois coupures parallèles, trois ponts à construire, l’un après l’autre, sur le canal latéral, sur le canal de décharge, sur la Moselle. L’ennemi borde la rivière. Il est à 200 ou 300 mètres quand le premier pont est entrepris. Quelques fantassins du «Tchad » se sont infiltrés jusqu’à la rive amie. Un char s’embosse dans l’axe de la route ; derrière nous un autre protège notre flanc à 150 mètres à droite. Un lourd et bruyant camion de pontage «Brockway » manœuvre sur le canal en plein jour. « Sale boulot », dit le commandant des chars. Des rafales de mitrailleuse les saluent sans dommage. Il n’en sera pas de même quelques heures plus tard, quand l’artillerie se mettra en action. Le premier obus atteindra le pont, démantelant un chemin de roulement.
Cependant, le premier pont construit, les chars le franchissent, passent à gué le canal de décharge et la Moselle et avancent sur la rive droite avec des éléments d’infanterie.
Le deuxième pont est terminé dans la nuit par le sous-lieutenant Cancel, et une douzaine de brockways, grues, compresseurs et camions-agrès viennent se ranger sur la rive. Les moteurs pétaradent. La manœuvre pour jeter le troisième pont commence sans tarder : gonflage des flotteurs pneumatiques, pose des lourds platelages, puis des chemins de roulement, dont chacun pèse une tonne. Les portières s’assemblent. Pas une lumière pour faciliter l’opération. Caché dans les maisons, derrière les éboulis, l’ennemi fait des victimes. Un observateur allemand, qu’on dénichera plus tard sous un toit, dirige le feu du canon dès les premières lueurs de l’aube. A côté du colonel Gravier, le chef de bataillon Delage ne quitte pas le chantier, tant ils sont impatients de faire passer. Blessé, Delage refusera encore de se faire évacuer et continuera de surveiller le passage. Un brockway est détruit et le conducteur, blessé. Là-haut, sur la crête, à 400 mètres, un duel s’engage entre les chars et les mitrailleuses ennemies à la lisière du bois… Rafale de 105 bien placée… les balles traçantes bondissent et s’entrecroisent.
Un incident, un camion de manœuvre est immobilisé sur le pont. Il faut faire sauter les chaînes du portique avec des pétards. Belle cible bientôt criblée d’éclats. Le conducteur est tué, l’aide, blessé. Des camarades les remplacent aussitôt. Le camion est évacué sous les rafales. Un autre le remplace et termine le pont. La meute des blindés, qui attendait avec impatience l’ouverture du passage, se rue à l’assaut sous les yeux du général Leclerc, qui surveillera longtemps le passage de ses colonnes.

Alsace, décembre 1944. – – Le carrefour de Ziegelscheuer est interdit par un entonnoir énorme. 700 mètres cubes à combler. Commencé à 17 heures, interrompu pendant deux heures, jusqu’au lever de la lune, le travail, mené avec deux angledozers de front, est achevé à minuit. Le garde-forestier, le lendemain dans la matinée, ne retrouvera plus les ruines de sa maison, qui, à grands coups de pétard, ont servi de matériaux de comblement.

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Une colonne de blindés lourds et d’A.M. progresse; le Génie l’accompagne. Sur la route, un camion allemand en partie détruit attire l’attention du chef de section. Deux trous de Tellermine qui ne trompent aucun sapeur. Le camion ennemi nous révèle ainsi son propre champ de mines. La route n’est pas complaisante : de la boue, des débris métalliques, des inégalités de terrain. Le rôle primordial ne sera pas celui du détecteur, mais du flair individuel. Cinq mines sont ainsi trouvées.
« II y en a six », dit le civil de droite ; « il y en a cinq », dit celui de gauche. Derrière, les officiers des chars insistent pour passer. Au dernier moment la sixième mine est trouvée. Les chars passent, chevauchés par les hommes aux détecteurs. Sur la première A. M. le chef de section du Génie, en «guetteur de mines», insiste pour que la colonne ralentisse son allure. A l’entrée du village, on accélère, au contraire. Le premier véhicule dépasse par miracle le champ de mines signalé par le guetteur, le suivant saute : une Jeep, un blessé.
La Division a percé. Les colonnes blindées s’engouffrent dans un bois et se heurtent bientôt à des abatis minés et piégés. Le Génie est alerté et se porte à l’avant. Le déminage commence aussitôt. Des mines sautent : toutes ne sont pas détectables. Un camion compresseur s’approche, suivi d’un angledozer. La scie pneumatique débite les troncs d’arbres préalablement dégagés des mines et pièges ; et l’angledozer repousse l’enchevêtrement des branches dans le fossé. Ou bien un half-track posté à 50 mètres tire à l’aide de son câble de treuil les arbres, dont les mines sautent. Progression lente, mais continue, au nez de l’Allemand, sous les rafales de l’artillerie, des mortiers, malgré le tir saccadé des armes automatiques toutes proches d’un ennemi mordant et décidé. 100 mètres, 200 mètres d’abatis que fait dégager le sous-lieutenant Bidaut, et souvent beaucoup plus : 5 kilomètres près de Rossfeld, avant que la progression des blindés ne puisse être reprise. Citer les noms ? Lesquels ? il y en a trop ! Forêts où des Tigre et des Panther guettent, routes découvertes d’où, d’un bois voisin, l’ennemi tire de toutes ses armes.

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Le Ier décembre 1944, le Génie du groupement Guillebon éclate à partir de Kraft entre les trois sous-groupements. Au début de la matinée, une section débarrasse de mines le carrefour qui donne accès au chemin de terre, vers Herbsheim. Dès le début, l’artillerie allemande fait rage. La section du Génie est fortement éprouvée. Un des half-tracks est touché en plein par un obus qui tue le chef de voiture et deux de ses sapeurs. Les chars de tête sont arrêtés par des mines à l’entrée de la ville. Descendant de ses véhicules blindés, le Génie fait à pied, à côté des chars, les derniers 100 mètres qui le séparent de l’entrée d’Herbsheim.
Il faut faire vite pour dégager l’entrée du village et laisser la voie aux blindés, qui sont en position dangereuse. Munis de leurs détecteurs, les sapeurs balaient et déminent devant les chars qui attendent le côté droit de la route, en dépit des mortiers cachés dans les bois, des mitrailleuses et des mitraillettes postées dans les premières maisons du village. Le travail est ardu. Les détecteurs réagissent mal à travers l’épaisse boue qui recouvre la chaussée. Les pertes sont considérables. En quelques minutes, la section a dix-huit hommes hors de combat, mais le premier char a pu passer. Elle est relevée et remplacée par la section de réserve, qui continue sur toute la largeur de la chaussée et sur les bas côtés le travail de déminage, offrant ainsi double voie et permettant les évacuations, que la situation rend impérieuses. Petit à petit cependant, les chars s’enfoncent dans le village. La Zembs, qui en borde la lisière sud, va être atteinte. On sait que le pont est détruit. Néanmoins, il faut franchir, et franchir vite, pour que le village puisse être solidement tenu. Un premier camion de pontage est immédiatement amené à l’entrée du village. Dès son arrivée, les mortiers le mettent hors de combat : deux roues à plat et les pistons du portique crevés.

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La Zembs sera franchie tout de même. En effet, à 17 heures, pratiquement non couverts, les sapeurs mettent en place leur premier chevalet ! La nuit vient interrompre ce travail long et difficile : il sera repris le matin, à l’aube. A 10 heures, l’itinéraire Herbsheim-Rossfeld est rétabli sur toute sa longueur et nettoyé des mines.

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Pendant que le sous-groupement Cantarel s’emparait d’Herbsheim, le sous-groupement Debray progressait sur l’itinéraire Obenheim-Ehl, encombré d’abatis et de mines. La section du Génie, utilisant tous les moyens techniques de la compagnie (compresseurs et angledozers), lui livre la voie libre, en dépit des mines dont sont truffés les abatis. Au delà de Ehl, un énorme entonnoir de 16 mètres de diamètre et de 3 m. 50 de profondeur barre le carrefour en direction de Rossfeld. En une demi-heure, l’angledozer établit une dérivation et deux coups de 88 antichars ne troublent pas le conducteur, qui, avec le plus grand flegme, continue à manœuvrer ses leviers.
Les chars s’engagent sur la route de Rossfeld, que le sous-groupement Putz a reçu mission d’aborder par l’ouest. De nouveaux abatis piégés arrêtent la progression. Le conducteur de l’angledozer en service est blessé par un éclat de mine. A Rossfeld, le chef de section rendra compte avec une légitime fierté que depuis la veille 5 kilomètres d’abatis piégés ont été enlevés.

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Une dernière image : la chaleur et le soleil du 15 avril 1945, devant Roy an, nous emmènent loin du dur hiver de l’Est. L’opération, qui va durer trois jours, est menée contre les troupes de l’amiral Michaelles qui se sont retranchées depuis huit mois dans l’estuaire de la Gironde. Leurs gros ouvrages bétonnés ont été bombardés par l’aviation, mais des tirs en partent encore, et le boche interdit par ses feux la ceinture qui est son dernier recours : le triple champ de mines qu’il a établi à loisir. L’attaque est stoppée quelques centaines de mètres en avant. Seuls trois véhicules sont en pointe : deux destroyers, qui comme deux gros chiens de garde se tournent dans tous les sens et font baisser le nez aux nids de mitrailleuses… quand ils les voient, et le half-track du Génie. Les hommes du capitaine Legrand ont mis pied à terre. Au milieu des éclats et des gerbes ils peignent méthodiquement les champs. Ceux qui tombent, il est presque impossible de les évacuer; d’autres arrivent et déminent encore une rangée. Deux heures pendant lesquelles tous les regards sont sur eux. Puis la porte est ouverte, la ruée s’y engouffre et ne s’arrêtera plus.
La devise du bataillon, je m’aperçois que je ne l’ai pas encore dite : A me suivre, tu passes.

Lieutenant LOURIA.

 

     

 

     

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