Bataille de Dompaire – 13 septembre 1944

 

DOMPAIRE

13 septembre 1944

( Extrait de “LA 2E DB” – Raymond MUELLE -Presses de la Cité – 1990)

 

 Char “PANTHER” à Dompaire – Septembre 1944

 

La nuit du 12 au 13 septembre est une veillée d’armes peuplée par les tirs d’artillerie et les grondements de chars.
Les blindés se mettent en place, les deux partis se préparent pour un assaut imminent que chacun sait mortel.
Dans la petite vallée de la Gitte, entre Damas et Dompaire que menacent les deux sous-groupements du colonel de Langlade, l’ennemi a rassemblé un bataillon de Panther avec son infanterie d’accompagnement, une artillerie non négligeable.
D’autres formations blindées composées de Mark IV et de deux bataillons de grenadiers sont signalées au sud, près de Darney.
Au lever du jour un peloton de TD appartenant au groupement Minjonnet éclairé par ses jeeps de reconnaissance bute sur l’ennemi qui se met en place devant Damas. Deux Panther sont incendiés, les autres manœuvrent trop lentement, les chasseurs de chars du RBFM, les Sherman du 12e RCA, l’artillerie les neutralisent, puissamment aidés par l’intervention, la première de la journée, des Thunderbolt d’appui aérien.

A l’ouest, dans la matinée, Massu donne l’assaut ; s’engage alors un furieux combat de chars et d’infanterie.
Là aussi, l’action des avions américains dirigés du sol par le colonel Tower est d’une remarquable efficacité renouvelée à plusieurs reprises dans une situation mouvante et difficile.
A Damas, les coups de boutoir lancés par les Allemands échouent, treize de leurs chars restent sur le terrain.
Devant Dompaire, pour Massu, il faut plus de temps pour venir à bout d’un adversaire acharné qui perd trente Panther.
Certains sont encore en état de marche, abandonnés par leurs équipages qui lèvent les bras ou accompagnent les fantassins en déroute en direction d’Epinal.
Dans l’après-midi, les Mark IV attaquent depuis Darney tentant de prendre à revers le groupement Minjonnet, menaçant sérieuse-ment le PC du colonel de Langlade. Les Thunderbolt, les TD, les chars accourus mettent hors de combat sept des engins ennemis.

La 112e panzerbrigade a perdu dans la journée 59 chars sur les 90 de son effectif, sans préjudice de 21 canons détruits et de 500 tués. En face, le GTL déplore 43 tués dont 3 officiers, une dizaine de chars et de véhicules perdus.
Pendant cette rude journée, au nord-est du champ de bataille, les reconnaissances du RMSM atteignent Nomexy sur la Moselle et prennent contact avec la 79e division US à Charmes. Le sous-groupement La Horie du GTV enlève Remoncourt où il détruit plusieurs canons antichars et fait 80 prisonniers, puis il occupe Hymont.
Le lendemain, les combats reprennent devant Damas de nouveau menacé par une quinzaine de blindés vite stoppés par l’artillerie.
Le PC du GTL s’installe dans Dompaire conquis de haute lutte.
Le GTD occupe Chaumont.

Le 19 septembre, la radio nationale diffuse le communiqué suivant :
« Commentaire des nouvelles au sujet de la 2e DB : une formation de la 2e DB correspondant à l’effectif d’une brigade a détruit plus de 65 chars ennemis pendant les journées des 13 et 14 septembre dans la région de Dompaire. »
Cette action sera considérée comme un des plus importants engagements de blindés sur le front de l’ouest.

 

Chasseur Bombardier P47 “Thunderbolt”

 

DE LA MARNE A LA MEURTHE

PASSES D’ARMES AVEC MANTEUFFEL

( Extrait de “LA 2E DB – Général Leclerc – EN FRANCE – combats et combattants” – ©1945)

 

Nouveaux problèmes   Au début de la deuxième semaine de septembre, la Division se regroupe dans les vallonnements coupés de bois touffus de Bar-sur-Aube et du pays de Clairvaux. La Brie et la plate Champagne, que la guerre vient d’enjamber sans les toucher, nous ont vu défiler dans un roulement monotone. Chacun y a décanté dans un silence relatif la riche expérience des derniers jours. De ces tourbillons d’images, d’impulsions, de réflexes rapides, de liens hâtifs, de projets, nous avions émergé par un matin brillant, le 8 septembre, lorsque nos véhicules, avec leur ample complément de nouveaux camarades, avaient retrouvé d’instinct leurs places dans leurs colonnes, qui aux Invalides, qui au Bois, qui à la Plaine-Saint-Denis. Les accueillants villages de l’Aube voient donc arriver des enfants encore une fois un peu perdus, qui doivent sans transition se transplanter d’ambiance. De Paris, la guerre s’était éloignée bien loin : ne la disait-on pas à Metz, voire à Aix-la-Chapelle ? Or, la revoici soudain toute proche. Les F. F. I. de Châtillon, encore aux prises avec des isolés dans les bois, demandent immédiatement notre aide. Un peu plus loin, l’ennemi s’est organisé avec des effectifs importants groupés en points d’appui qui barrent les grands itinéraires et capables de résister aux chars. Progressivement, ses intentions se dessinent. La 1ère Armée allemande, qui reflue depuis Paris devant la 3e Armée américaine, a perdu la Meuse à Verdun et au sud, mais n’a nulle part laissé entamer la Moselle. Les éléments de pointe alliés, entrés dans les défenses de Metz, en ont été rejetés, et les Américains ne bordent plus la rivière qu’à Pont-à-Mousson et à Toul. L’avance américaine, étirée depuis Cherbourg et toujours ravitaillée par les seules plages de Normandie, n’est pas encore au point mort : de Toul, elle va menacer Nancy de front, franchir aussi la Moselle plus au sud, à Saint-Mard et à Bayon, attaquer Nancy par le sud et marcher vers Lunéville. Mais, inévitablement, elle a perdu de la puissance. Déjà contre-attaquée au nord dans la région de Briey, elle présente vers le sud un immense flanc découvert. Au delà de ce flanc, encore plus au sud, défilent en retraite désordonnée les unités allemandes de la Loire et du Rhône, les premières pourchassées par les F.F.I., qui coupent ponts et routes, harcèlent les colonnes, les deuxièmes refluant devant les débarquements de Provence. C’est la 19ème Armée allemande qui est chargée de les recueillir. Sur le plateau de Langres, non immédiatement menacé, elle a pu tracer à loisir un grand arc de cercle : il s’appuie à Charmes sur la Moselle et son autre extrémité à la Suisse, vers Evian. Il passe par Neufchâteau, Chaumont, Langres. L’organisation déjà au point dans les centres importants se garnira et se complétera au fur et à mesure de l’arrivée des fuyards : Etats-Majors et officiers, repliés les premiers, sont en place, Ottenbacher à Langres et 16e Division à Dompaire. Tout ceci, naturellement, nous ne le saurons qu’un peu plus tard. Nous ignorons aussi que cette large tête de pont à l’ouest de la Moselle, placée de façon propice sur le flanc sud de la 3e Armée, l’ennemi en fait la base de sa contre-attaque. Depuis le 7 septembre, il débarque dans la région de Saint-Dié (aussi loin que le chemin de fer le lui permet) ses nouvelles Panzerbrigaden : leur organisation simplifiée, mise au point pendant l’été et non encore connue du commandement allié, devait lui permettre de jeter rapidement dans la bataille les derniers chars produits par ses usines. Leur noyau était un bataillon de chars Panther (une cinquantaine) qu’épaulaient une trentaine de chars Mark IV, deux bataillons de grenadiers mécanisés, un groupe d’artillerie sur chenilles. Deux d’entre elles, la 112e et la 111e, étaient acheminées respectivement vers Epinal et vers Remiremont, elles devaient être suivies par la 106e. La 112e franchissait la Moselle, portait ses chars vers Dompaire et Darney, pour déboucher de Mirecourt. La 111e devait étendre à l’ouest l’aile marchante de la contre-attaque, qui était confiée à un des généraux les plus capables de faire rendre le maximum au dernier outil en lequel la Wehrmacht mettait son espoir : von Manteuffel. Dans l’Aube, cependant, nous retrouvons le XVe Corps, celui avec lequel nous avions combattu en Normandie. Sous les ordres du général Haislip, nous allons y être jumelés avec la 79e Division d’infanterie américaine. Derrière nous en Normandie, elle nous retrouve après un long périple qui l’a conduite jusqu’à la Belgique. Le Corps doit à la fois progresser et assurer le flanc sud de l’Armée. Nous, progresser et assurer le flanc sud du Corps, et ceci à partir de l’Aube. Le premier objectif étant la Moselle, cette mission s’étire à vol d’oiseau sur 150 kilomètres. Pendant encore deux jours le groupement Billotte assurera même la protection jusqu’à Montargis sur la Seine. Nous éviterons le nœud trop fort de Neufchâteau pour progresser, la 79e par le nord, vers Charmes, et nous par le sud, vers Thaon-Châtel. Le Général a le choix de ses passages entre Neufchâteau et Chaumont : il choisira les points faibles pour s’insinuer le plus profondément possible chez l’ennemi, le frapper aux centres vitaux de ses arrières et achever par des assauts énergiques la chute des môles délaissés dans la phase initiale du combat. L’action doit être menée avec vivacité à tous les échelons.

 

Entrée en lice

 

Le 10 septembre dans la soirée notre groupement de reconnaissance se place donc en couverture sur la Marne, et au cours de la nuit deux ponts sont remis en état. Le 11 au matin le groupement aborde pour la reconnaître la région d’Andelot, dont la défense est trouvée solide. Le Général décide de passer plus au nord. L’irruption en force dans le dispositif ennemi est confiée au groupement Langlade. Dio et Billotte restent échelonnés pour figurer ces racines qui sont, paraît-il, encore nécessaires jusqu’à Montargis. On les verra par la suite se déplacer tour à tour en jouant à saute-mouton. Langlade, lourds en tête, suivant une formule éprouvée en Normandie, écrase donc à Prez un bouchon ennemi moins solide que celui d’Andelot, élargit la brèche jusqu’à Saint-Blin, dont les F.F.I. sont déjà maîtres quand il arrive, et franchit la Nationale 65 en deux colonnes : Minjonnet au nord et Massu au sud. La Meuse est bientôt atteinte à Goncourt et à Bourmont, dont la garnison capitule à 15 heures. Après avoir franchi les deux routes Neufchâteau-Chaumont et Neufchâteau-Langres nous sommes « dans la place », au cœur du dispositif ennemi. Que nous réserve-t-il ? Nous en avons une idée encore bien vague. Au passage à Leurville, nous avons recueilli au vol quelques renseignements auprès du chef local des F.F.I., celui qui commandait les gars de Prez et de Saint-Blin, dont la jeunesse ardente avait bondi en grappes sur nos Jeeps dès qu’il s’était agi de cueillir du boche. La figure souriante, marquée de la calme bonne humeur de ceux qui vont loin, du capitaine Châtel nous avait promis de nous revoir. Nous en avions recueilli déjà pas mal de ces promesses ! Cependant, dès que ses services sur place ne seront plus indispensables, Châtel suivra en volontaire avec quelques-uns de ses gars un peloton d’A.M. américaines ; en novembre, à Baccarat, il sera affecté réellement à notre Division. Châtel nous avait annoncé les prochaines résistances à hauteur de Contrexéville. De fait, à la tombée du soir, Minjonnet est arrêté à Saint-Remimont, tandis que Massu, qui trouve à Contrexéville même une garnison moins forte, enlève sa première ville d’eaux et va reconnaître les abords de Vittel.

*

  A Contrexéville, on commence à y voir plus clair. Le traditionnel document allemand, bien dessiné comme à l’école, avec la netteté anguleuse et noire de ses signes conventionnels, nous donne enfin le dispositif. Nous sommes passés entre la Division Ottenbacher, qui tient Langres-Chaumont-Andelot, et la 16e Division d’infanterie, qui tient Neufchâteau-Mirecourt. Le P.C. de cette dernière est à Dompaire, son front principal face au nord entre Neufchâteau et Charmes, avec de sérieux points d’appui vers Houécourt et Mirecourt qui s’échelonnent en profondeur jusqu’à Saint-Remimont, Vittel et Dompaire. Il nous suffit de nous infléchir légèrement vers le sud pour défiler sur ses arrières, tandis que la 79e Division d’infanterie américaine, immédiatement prévenue, défilera sur ses avants. Après l’avoir ainsi isolée comme une pelure, quelques vigoureuses attaques à la rencontre l’un de l’autre devraient en disposer assez facilement. Ceci évidemment un peu schématique, car l’ennemi a réagi à notre manœuvre, ramène des troupes pour se rétablir face à l’ouest, se raccroche de Mirecourt vers Dompaire et Darney. Mais une fois encore on peut le gagner de vitesse. Le 12 au matin, couvert au sud par le groupement de reconnaissance qui opère vers Lamarche, le groupement Langlade abandonne l’attaque de Saint-Remimont, déborde Vittel par Lignéville, le réduit par une attaque d’infanterie venue du sud. Et, avant même que cette opération soit terminée, lance Massu sur Dompaire, qu’il abordera à la tombée de la nuit. Après deux heures de lutte ce dernier décide que le morceau est dur : pour mieux le guetter il s’installe aux lisières. De son côté, Vittel liquidé, Minjonnet double au sud par Thuillières, San Vallois, Lorrain, où il rejoint la route de Darney à Châtel.

 

Dompaire

 

Vittel offrit cette après-midi-là un spectacle assez extraordinaire. La liesse générale, les cohortes de prisonniers, le retour triomphal du maquis s’y complétaient par l’agitation au camp des internés anglo-saxons. Massée en grappes contre les grilles qui entouraient le quartier des hôtels, sur les ponts qui les faisaient communiquer et à toutes les fenêtres, une foule de trois mille personnes prisonnières depuis quatre ans et où dominait l’élément féminin manifestait bruyamment à tous les passages de nos véhicules. Une soixantaine de Sénégalais associés aux internés pour les corvées courantes se tenaient un peu en retrait et s’épa-nouissaient en un sourire plus réservé. Le Général fut vite reconnu. Il eut le courage de se faire ouvrir la grille et de rentrer. « Je vous dois bien une visite, dit-il. L’Angleterre nous a offert l’hospitalité en 1940 et nous a généreusement soutenus. L’Amérique nous a donné des armes et combat sur notre sol. Je suis heureux qu’il soit donné à un général français de vous rendre votre liberté. » Ces clameurs bourdonnaient encore dans nos oreilles au P.C. de Valleroy-le-Sec, où nous nous installons vers 18 heures. D’autres nouvelles nous y rejoignent. Des habitants signalent un déplacement important de chars et d’infanterie de Bains-les-Bains vers Darney. Sur la route de Darney à Damas, Minjonnet a pris une équipe boche occupée à flécher l’itinéraire, on se demande pour qui. Aux aguets devant Damas et Dompaire, ses hommes et ceux de Massu entendent la nuit se remplir de bruits de chars. Leur flair est affirmatif : il y en a beaucoup, et du lourd.

*

  Il est donc encore plus impérieux d’attaquer sans délai. Mais tous les gestes doivent être plus soigneusement mesurés. Pendant que le grou-pement de reconnaissance va marquer Darney au plus près et que Minjonnet attaquera Damas, puis coupera la Nationale 66 entre Dompaire et Epinal, Massu abordera Dompaire. Nos artilleurs, sans qui nulle action importante n’est plus entreprise, capables à chaque instant d’intervenir très en avant, reconnaissent le terrain et se mettent en place dans la nuit. Les deux villages de Dompaire et de Lamerey sont placés en longueur et bout à bout dans un sillon, celui de la Gitte; leurs vergers remontent ses deux versants en pente douce, plus abrupts dans le fond bordé de maisons. Les chars ennemis, un bataillon complet et tout neuf de quarante-cinq Panther accompagnés par de l’infanterie et de l’artillerie, s’y rassemblent dans la soirée et dans la nuit. Une partie de la colonne qui vient d’Epinal bifurque 2 kilomètres avant d’arriver et gagne le village de Damas, lui aussi dans le sillon de la Gitte, un peu en amont. Ils commirent la lourde faute de rester presque tous dans ce fond, de ne pousser aux lisières qu’une partie de leurs moyens. Le peloton de chasseurs de chars (lieutenant de vaisseau Allongue) qui accompagne Minjonnet, après avoir guetté, soupesé, interprété tous ces bruits de la nuit, repart avant le jour, direction Damas. Brusquement, avec une soudaineté qu’il n’avait pas imaginée, le voilà dans l’action : un, puis deux Panther apparaissent ; les coups s’échangent, rapides, saccadés, répercutés bientôt par l’infanterie qui se révèle aux lisières des fourrés. Le premier Panther a été abattu d’entrée, le second s’esquive et revient, d’autres sont signalés. Les quatre destroyers, seuls en avant avec les petites Jeeps qui leur servent d’éclaireurs, se déploient à défilement de la crête. La sécurité de tout le sous-groupement qui suit repose sur eux. L’ennemi hésite, le combat si brutalement engagé reste tout à coup en suspens ; seuls s’entendent et s’amplifient les bruits de ses chars qui montent à la rescousse sur l’autre pente. Ce flottement lui est fatal. Les destroyers ont alerté les Sherman du 12e Chasseurs, qui arrivent, bientôt suivis par les avions : l’initiative nous est définitivement acquise. Devant Dompaire, où les Panther semblent littéralement grouiller, Massu borde la lèvre sud du sillon. Il a poussé son infanterie au centre, puis à gauche, comme un félin avance ses pattes. Dès que l’autre bouge, il s’arrête et l’écrase sous le feu de son artillerie et de ses chars. Les Panther s’inquiètent. Quelques-uns essaient de remonter l’autre versant, protégés en partie par leur propre artillerie. Nos pièces musellent leurs canons, nos chars les prennent à partie. A point arrive la première mission d’air-support. La coordination difficile de l’air et de la terre a fait l’objet d’une longue mise au point, à laquelle s’est patiemment attaché le commandant de Person. Voici la récompense de ses efforts : les Thunderbolt sont appelés et guidés par l’officier américain qui nous est attaché, le sympathique colonel Tower. Son char, équipé en radio, est à portée de voix de Massu. Ecouteurs aux oreilles, tout son buste est dehors; sa figure, plissée par l’effort qu’il fait au micro pour se faire comprendre de son troupeau encore lointain, se détend et se tourne radieuse vers ses camarades quand enfin les pur sang emplissent le ciel. Encore quelques mots au micro et les piqués commencent : la jubilation de Tower gagne tous nos officiers et nos hommes. Le Panther n’aime pas ça : immédiatement il se tait et se cache. L’occasion est vite saisie : Massu pousse à gauche son infanterie, déborde le village, franchit la Gitte et pousse en position propice quelques chars, cependant que Minjonnet, qui a pu d’un seul coup coiffer Damas, prend maintenant à revers toute la rive gauche du vallon. Quand, les avions partis, les Panther essaient de ressortir, ils se heurtent à de nouveaux feux mieux placés. L’air-support viendra quatre fois dans la journée : chaque fois le groupement pousse son avantage. Un second bond porte Minjonnet au carrefour de la route d’Epinal, coupant à l’ennemi sa retraite. Pressant au cœur de l’essaim, Massu l’enveloppe, occupe le cimetière, commande au plus près les sorties. Les Panther sont un à un décimés, moitié par les avions, moitié par nos chars et notre artillerie. Ceux qui restent, d’inquiets deviennent affolés, puis hystériques : les villageois qui risqueront un œil hors de leur cave les verront passer et repasser en courts trajets brusques, aborder dans les vergers des itinéraires impossibles, s’enfourner dans les hangars, chercher à défoncer une façade de maison pour se trouver un toit. Jusqu’à ce que, abandonnant une fuite éperdue et impossible, les quelques équipages restants abandonnent intacts leurs derniers chars. Trente à Dompaire, treize à Damas, épars dans les rues et dans les vergers, plaque de fabrique du 15 août 1944. Lorsqu’ils avaient jugé la situation perdue, les officiers s’étaient groupés autour de leur commandant, avaient pris les mitraillettes de leurs hommes et étaient partis à pied se frayer un passage vers l’est : une consigne leur enjoint de préserver les cadres précieux de l’éternelle Allemagne !

*

  Et voilà que, à peine calmé à Dompaire, le bruit se rallume sur nos arrières. Les chars regroupés à Darney, que nous saurons ensuite être les Mark IV de la 112e Panzerbrigade, dont le bataillon lourd venait d’être détruit, attaque de Lorrain vers Ville-sur-Illon. Ils sont accompagnés des deux bataillons d’infanterie de la brigade : les spahis les avaient signalés grouillant vers Jesonville et avaient fait de leur mieux pour les inquiéter. Pressés par les appels de Dompaire, ils finissent par se mettre en place vers 16 heures et débouchent à revers sur le P.C. du colonel de Langlade. Les quelques tubes hétéroclites qu’on laisse en général à un Etat-Major, immédiatement épaulés par la concentration massive de l’artillerie et par les destroyers rameutés en hâte de Damas, leur tiennent tête, tandis qu’une dernière mission d’air-support, détournée à la dernière minute d’un autre objectif, vient achever de les dégoûter. Ils laissent encore sept chars sur le terrain. L’intervention des Thunderbolt, encore une fois si heureuse, il est donné exceptionnellement aux nôtres d’en remercier un pilote. Toujours, leur travail terminé, ils repartent vers un lointain aérodrome, anonymement suivis du regard. Cette fois, dans la fougue du piqué, un Thunderbolt heurte un arbre. Le pilote, par une chance inouïe, en sort indemne : fêté et couché à la popote, il demande timidement qu’on le rapatrie à sa base… à Rennes ! Entre Damas, Dompaire et Ville-sur-Illon, le 13 septembre avait coûté à la 112e Panzerbrigade, fraîchement équipée en matériel neuf, débarquée de quelques jours, en route pour contre-attaquer le flanc de la 3e Armée, cinquante-neuf chars. Elle en avait en tout quatre-vingt-dix. Le reste de la brigade, indécis le 14, se replie sur Epinal le 15 : il ne pourra plus être remployé que pour une molle contre-attaque sur Lunéville le 19, puis la 112e disparaîtra de l’ordre de bataille. Von Manteuffel, à qui on avait confié trois de ces unités nouvelle version, était, paraît-il, anxieux d’en faire l’expérience.

 

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