Berchtesgaden Mai 1945


Cachet de la Poste de Berchtesgaden
subtilisé le 4 mai 1945
par André VION  -Char “ALSACE” 31e Batterie – XI/64 RADB

 

EPILOGUE

Berchtesgaden-Blason

Obersalzberg
BERCHTESGADEN

 

 

4 mai 1945 : Le général LECLERC négociant le passage de la rivière Salzbach
avec le Major général O’DANIEL 
commandant la 3ème division d’infanterie US
(à l’arrière plan: Guy De Valence)

 

 

 

(Photo: CLOAGUEN – 22e GCFTA)

 

 

 

Le 5 mai 1945 dans la fumée du Berghof en flammes

 

 

 Vue du Berghof avant guerre

 

 

 

 Vue du Berghof en mai 1945 (Photo: CLOAGUEN – 22e GCFTA)

 

 

A la mi-avril, le général Leclerc et sa division participent aux opérations en Allemagne.

La 2e DB pénètre le 4 mai 1945 à Berchtesgaden ; le drapeau français est hissé sur la demeure d’Hitler au Berghof et son chalet au Nid d’Aigle.

Le bilan de la campagne d’août 1944 à mai 1945 est de 1687 tués et 3300 blessés.

Au sein de la 2e DB, unité d’élite dont l’origine FFL est fortement marquée, la 2e DB compte 155 Compagnons de la Libération, et quatre régiments dotés de la même distinction :
le régiment de marche du Tchad,
le 1er régiment de marche de spahis marocains,
le 3ème régiment d’artillerie coloniale
et le 501ème régiment de chars de combat
.

Le 4 mai 1945 vers 16 heures, seul en tête de la Division, après avoir traversé Berchtesgaden que les Américains viennent d’investir, le capitaine TOUYERAS (Officier Observateur de la 3ème Batterie du XI/64e RADB ) parvient en jeep au Berghof, lequel s’embrase sous ses yeux.

Il y fait une quarantaine de prisonniers récalcitrants qui portent des uniformes semblant ne pas leur appartenir…

Au cours d’une communication radio, il reçoit l’ordre de redescendre à Berchtesgaden afin d’y chercher des renforts.
En chemin, il croise une reconnaissance américaine soutenue par des blindés et doit justifier de son identité.

A Berchtesgaden, en fin d’après-midi, le capitaine trouve l’appui des quelques 30 hommes de la 2ème section de la 12e compagnie du III/RMT sur ses half-track et repart à leur tête vers le Berghof .

Parvenus au Berghof à la tombée du jour, ils n’y trouvent plus “âme qui vive” et en occupent les différents bâtiments.

 

L’ ALLEMAGNE !   Depuis Koufra, tendus vers la France et Strasbourg, nous battions l’Allemand. Nous le battions sur nos objectifs français, qui mobilisaient tant de notre pensée que, derrière eux, l’informe Germanie s’estompait. Strasbourg atteint, la Division fut un instant dans le vide.
Ce vide devait vite être envahi par une nouvelle et exigeante détermination. De l’observatoire Rouvillois, sur un coin de la grande bâtisse des Moulins, derrière le petit Rhin, on découvrait les trois ponts de Kehl, encore intacts. Sous le feu qui restait vif, le paysage était désert : le fleuve, grossi par la crue, y mettait seul une puissante artère de vie. Derrière, près à toucher, les immobiles villages allemands semblaient se ramasser sous la menace. Il fallait maintenant forcer ce repaire.
Près de cinq mois allaient cependant s’écouler avant que nous ayons droit à cette conquête. D’abord, tandis qu’une brume persistante recouvrait l’objectif un instant entrevu, la Division remontait la rive gauche du Rhin et les vapeurs de l’hiver pour les combats de Haute-Alsace. En mars, la tâche aux frontières achevée, elle se regroupait dans le centre, puis préparait sa participation à l’opération de Royan : celle-ci, qui devait ne durer que trois jours, du 15 au 17 avril, nécessitait sous les ordres du général de Larminat une longue mise en place. Elle se déroulait alors au rythme prévu, libérait l’estuaire de la Gironde.
Avant même qu’elle fût terminée, et dès que le général de Larminat eût estimé pouvoir poursuivre sans leur concours, les éléments que la Division y avait engagés et ceux qui restaient disponibles à Châteauroux se mettaient en route pour rejoindre la VIIe Armée américaine. Celle-ci avait entre temps franchi le Rhin, traversé le Wurtemberg ; elle arrivait par le nord en Bavière.

*

Après avoir regroupé leurs moyens, forcé dans la région de Wurtzbourg les résistances du Main, les Américains viennent de repartir. Le général Haislip avec le XVe Corps, après cinq jours de combat, a occupé Nuremberg, poussé vers le Danube où nos premiers officiers le rejoignent : à Donauworth, ils assistent au franchissement du fleuve, aux dernières réactions organisées de ce qui reste d’armée allemande. Ce n’est cependant pas avec « notre » XVe Corps que nous serons engagés, mais avec son voisin de droite, le XXIe, aux ordres duquel nous avions terminé la campagne d’Alsace : le général Millburn a franchi le Danube un peu en amont, à Dillingen.





Elément de la 7ème armée US franchissant le Danube
(source: CMH – France-Capaign)

 

De l’Atlantique au Danube, notre marche forcée, je vous laisse le soin de l’imaginer. Les premières colonnes, parties le 23 au matin par la route, sont le 27 au cœur de la Souabe, après avoir franchi le Rhin à Mannheim : elles y retrouvent leurs chars, embarqués sur chemin de fer jusqu’à Brumath et qui sont ensuite passés par Kehl. Le 29, le groupement Guillebon, à peu près recollé, passe à son tour le Danube à Dillingen. Les trois autres groupements étalent leurs éléments sur 1.200 kilomètres. Jusqu’au 2 mai, date à laquelle la Division sera regroupée, et afin d’être jeté immédiatement dans l’action, Guillebon passe aux ordres de la 12e Division blindée américaine. Avec elle il franchit la Lech au sud d’Augsbourg, contourne l’Ammersee, continue plein sud, dans les rafales de neige, face aux Alpes et à Garmisch. Arrivé au pied des montagnes, il porte son effort à l’est, arrive sur l’Isar à Bad Tolz.
L’escadron Da, qui a rejoint dans l’après-midi après une étape de 400 kilomètres, traverse immédiatement la rivière : suivi du sous-groupement Sarrazac, il part en tête vers l’Inn qu’il franchit le premier, le 3 au matin, à Nussdorf.

L’ennemi ne semble plus réagir que par la destruction de ses ponts : et encore celle-ci est-elle de moins en moins systématique.
Aux coupures, et à quelques barrages dressés sur les routes, un canon automoteur entouré de quelques fanatiques fait parfois le coup de feu.
Delpierre, dont la mission est de pousser au plus près de la montagne, refuge naturel des dernières unités organisées, réussit encore quelques combats en règle.
Aux abords du Tegernsee, il démolit sept canons, désarme près d’un millier d’Allemands : faits prisonniers dans l’action, ceux-ci iront se fondre au troupeau qui depuis hier surgit de tous les coins, encombre les itinéraires de ses interminables colonnes, reflue à pied et presque sans escorte à l’arrière.

 

*

 

Le 3 mai la 12e blindée américaine, qui est restée derrière l’Isar et qui a couvert dans les derniers jours des distances considérables, s’arrête à son tour.
Le Général reprend le commandement.
Derrière Guillebon qui continue à pousser en tête sans répit, il a fait suivre un deuxième bataillon d’infanterie, celui de Fausse, et les spahis.
Le nouvel objectif est Berchtesgaden.

L’affaissement général s’accentue. Les civils, depuis longtemps sans réaction et qui pavoisent leurs villages de drapeaux blancs, sont maintenant noyés dans la migration de leur armée.
Celle-ci capitule sur place par paquets; ou bien, incroyable mesure d’une administration qui croit au papier et aux tampons, se démobilise elle-même, renvoie ses hommes chez eux, un certificat dans leur poche !
La fameuse « Alpenstellung » est abordée sans résistance : on cueille un nombre croissant de personnages importants, généraux, ministres, certains du proche entourage de Goering qui au cours d’interrogatoires désabusés lèvent un coin du voile sur l’avant-dernier acte de la tragédie de Berchtesgaden.


Le 22 avril s’y est tenu le dernier grand conseil des nazis, celui qui a décidé et annoncé au monde qu’Hitler subirait le sort de Berlin.
Le grand premier rôle de ce scénario avait-il eu l’initiative de cette décision ? Ou s’était-il cabré devant l’ultime échéance qu’un cercle de figures fermées lui signifiait maintenant comme inexorable ?
On nous apprend seulement qu’après la séance plénière Hitler s’est retiré avec Himmler, Goebbels, Keitel, Jodl et Dœnitz. Il leur a demandé de partager son sort. Goebbels, seul, a accepté sans murmure (il a même renchéri, y ajoutant sa femme et ses enfants). Keitel et Jodl se sont retirés avec hauteur. Himmler s’est défilé. Dœnitz s’en est tiré par une longue poignée de main suivie d’un regard pathétique. Puis les acteurs ont vidé la scène.


Sur leurs talons arrive Gœring, à point pour le bombardement du 24 qui bouleverse le décor, et qu’il subit stoïquement dans ses souterrains.
Il vient brandir le fameux testament, celui dont quelques jours plus tard nous trouverons sur sa table l’enveloppe rageusement ouverte, celui qui l’a autrefois institué dauphin. Un coup de téléphone de Berlin lui enlève, hélas! ses illusions, bientôt suivi par l’arrivée des séides d’Himmler dont ses propres fidèles doivent le dégager. Il s’est alors enfui vers l’Autriche, où nous essayons de suivre sa piste.

Pour mettre la dernière note à cette confusion, toutes les nations se sont mises sur les routes : prisonniers des commandos ou des camps en uniformes français, russes, yougoslaves, polonais, un accent de triomphe dans le regard; travailleurs des villes; déportés des camps de concentration au cheveu ras, presque toujours gris même si le visage est jeune : au milieu d’un peuple vaincu qui joue l’innocence, leurs silhouettes décharnées portent de loin en loin leur témoignage; leurs yeux fiévreux reflètent qu’avant de songer à l’exubérance ils refont intérieurement un implacable bilan de souffrances.

 

Colonne de prisonniers allemands sur la route en mai 1945
(source : CMH – France Campaign)

 

L’escadron Da, qui à peine arrivé à Nussdorf a reçu l’ordre de repartir en avant, fait à toute allure sur l’autostrade encore 40 kilomètres.
A Siegsdorf, il bifurque sur la route directe de Berchtesgaden, où il en abat encore 15. Vers 16 heures, il aborde derrière Inzell le premier défilé : le pont est coupé, la gorge étroite et profonde est battue par le feu.

A tout ce que l’Allemagne au ressort cassé livrait sans réaction sur nos itinéraires, il manquait en effet un dernier spécimen : le S. S.
On le trouverait, ou jamais, dans le repaire des repaires : Berchtesgaden.

Regardez une carte : la Bavière pose son ventre sur les Alpes.
A son extrême pointe, au sud-est, comme une hernie, un cirque étranglé et fermé de montagnes d’un diamètre d’environ 30 kilomètres protrude sur l’Autriche.

L’écoulement des eaux, qui se décantent un moment dans le beau Konigssee, se fait par une gorge profonde vers Salzburg, mais les deux routes principales, par l’étranglement, viennent d’Allemagne.
Elles traversent chacune de leur côté un torrent, le Saalach, qui noue la hernie, puis un col d’inégale difficulté.
Venant d’Inzell, l’« Alpenstrasse » est la plus dure, en outre elle n’aborde la Saalach qu’au prix d’un défilé préliminaire : celui où est arrêté Da.

 

*

 

Le 4 au matin, les spahis cèdent momentanément la place aux coloniaux de Sarrazac. « Boulot pour montagnards… » disent-ils en jaugeant les raides escarpements où ils doivent déloger un ennemi invisible qui tire à coup sûr. Sur l’autre versant, il faut conquérir un village : deux compagnies ennemies y sont installées, avec des 88 sous rondins. Notre artillerie, le 64e, qui rejoint à marches forcées, arrive à temps pour appuyer l’attaque. Le soir, le génie peut amener son pont.
Le 5, toute la journée, la 9e Compagnie du Tchad, avec un peloton de spahis qui lui aussi a mis pied à terre et un bataillon de la 101ème Division parachutiste américaine qui les suit, peine dans les défilés, exerce à nouveau ses talents d’alpiniste aux quatre coupures battues par le feu. Vers 15 heures, après trente-six heures de combats exténuants, elle arrive à Berchtesgaden : les spahis de Lamotte sauvaient au dernier moment leur honneur de motorisés en réquisitionnant un camion de la Wehrmacht sur lequel ils faisaient leur entrée.

Berchtesgaden était déjà très animé, pavoisé de blanc par ses habitants, rempli de Jeeps et de Sherman. Dès le 4 au soir le village avait été occupé par les Américains de la 3e Division et par notre sous-groupement Barboteux. Guillebon y avait incontinent porté son P.C.
La 3e Division américaine, dont l’objectif était Salzburg, avait, parallèlement à nous, roulé à toute allure sur l’autostrade. Celle-ci comporte, on le sait, deux bandes (montante et descendante) séparées par un ruban de gazon; chacun en avait pris une, tous dans le même sens, naturellement.
A la Saalach, le pont était sauté. Déviant sur la gauche, donc dans sa zone, la 3e Division avait rétabli un passage, occupé Salzburg, qui n’était qu’à 10 kilomètres. Un de ses régiments la couvrait, à Reichenhall, vers Berchtesgaden. Le général O’Daniell, qui nous avait autrefois relevés à Strasbourg et avec lequel nous avions combattu à Neuf-Brisach, nous livrait obligeamment son pont, mais aussi son régiment qui partirait avec nous (en fait devant nous, puisqu’il était déjà en place) sur notre objectif. Le col après Reichenhall est relativement aisé : pris de vitesse ou de panique, les S.S. ont renoncé à le défendre. Bien mieux : cette troupe de choc, ce noyau des noyaux, ces apôtres du suicide spectaculaire s’évanouissent complètement. A Berchtesgaden, nous trouvons des casernes pleines de troupes — qui semblent innocentes et régulières, qui ont tout rassemblé pour une reddition non moins régulière — et des civils empressés qui nous accueillent en libérateurs !

 

*

 

Berchtesgaden n’est cependant qu’une petite station de montagne, au creux du cirque, là où ses trois torrents se rencontrent avant de bondir par leur gorge unique vers l’Autriche. Si ce nom est maintenant célèbre, c’est par le contrefort qui le domine, l’Obersalzberg, dont Hitler avait fait son domaine.
De Berchtesgaden, regardant vers le sud, et déjà isolé du reste du monde par le Predigtstuhl qui barre votre dos, imaginez en toile de fond deux hautes montagnes culminant à 2.700 mètres, le Watzmann et le Hagen. Elles enserrent de falaises verticales, 2.000 mètres plus bas, un lac allongé et vert, le romantique Kônigssee. Du Hagen, en proue sur cette toile de fond, ce contrefort qui vient dominer le village, c’est l’Obersalzberg. Hitler en avait occupé le sommet rocheux, le Kehlstein, à 1.800 mètres, où il avait bâti son « nid d’aigle » : François-Poncet nous en a décrit l’accès, par sa route de montagne, puis l’ascenseur qui vous enlevait pour les derniers 100 mètres. Il en avait davantage occupé le flanc, vers 900 mètres; autour de sa propre villa, le « Berghof », de celles de ses gardes et de ses acolytes Borman et Goering, il y avait fait surgir une petite ville, le Platterhof : caserne des S.S., hôpital, hôtel des invités, poste, garages, dépendances. Il en avait surtout creusé le roc en interminables souterrains, organisés non pas en abris passagers, mais pour y vivre; sous la frêle superstructure des villas, ce monde tributaire d’artificielle lumière et d’artificielle aération était pour ses adeptes le vrai « saint des saints ».
Le S.S. s’était évanoui à Berchtesgaden. Que ferait-il au « saint des saints ? »

 

*

 

Seul en Jeep, par 3 kilomètres de très raide montée, à la tombée du jour, le capitaine Touyeras fonce sur le Berghof. Il est suivi par la 2e Section de la 12e Compagnie du Tchad (lieutenant Messiah).
Aux frontières du domaine, ils confrontent un parfait chaos. Le bombardement aérien du 24 avril a déchiqueté les arbres et retourné les pelouses; les villas, déjà défigurées par l’odieux camouflage vert, sont maintenant des amas de planches et de gravats. La section met pied à terre à la lisière supérieure et descend d’entonnoir en entonnoir en couvrant méthodiquement le terrain.
La villa d’Hitler, le Berghof, est en contrebas. Voici que d’immenses flammes en surgissent. Sous le toit effondré, la grande pièce à baie carrée et l’appartement privé qui la domine avaient été relativement épargnés par les bombes. Les S. S. s’y sont réfugiés, ainsi que dans le souterrain, où nous trouverons demain leurs reliefs. A notre approche, ils s’enfuient. Cet ultime et misérable incendie n’est même pas un sabordage : nous prendrons intacts les souterrains et tout ce qu’ils contiennent, et tout ce que conservent la villa de Goering et son train garé là-bas dans le fond sur sa voie, et ce que livreront encore les caves, les garages, les dépendances. Nous ne rencontrerons pas un nazi pour nous combattre face à face, au nom de son uniforme et de sa foi.

 

*

 

Le 5, Barboteux, nouveau maître de l’Obersalzberg, fait les honneurs de son domaine à de nombreux visiteurs. Il s’excuse de leur imposer une démarche incertaine, dans les gravats croulants et la terre fraîchement remuée, et de n’avoir encore qu’une connaissance incomplète du labyrinthe souterrain. Mais un immense drapeau tricolore, trouvé sur place, couvre le mur de soutènement, celui qui porte la terrasse du Berghof, au sommet duquel ont plastronné tant de silhouettes prétentieuses. Dès le matin, en outre, une patrouille est partie vers le Kehlstein. Pour atteindre le sommet, il faudra à ces hommes neuf heures de neige, d’éboulis, voire d’escalades; venus des immenses horizons bas, des chaudes buées du Tchad, rien ne les étonne des trajets par lesquels ils font passer les Couleurs. soir, elles flotteront sur ce qui, pour le monde, fut le « nid d’aigle». Entre temps Delpierre, que Guillebon avait lancé sur le troisième et dernier itinéraire, celui qui vient de Salzburg par Grôding et les gorges, était lui aussi arrivé, à peu près en même temps que Sarrazac et que Da. Tous trois vont repartir aussitôt, traverser le cirque, éclater par le sud-est et le sud-ouest vers l’Autriche : Delpierre sur la vallée de la Salzach vers Hallein, les deux autres vers la haute Saalach et Lofer, où Kesselring avait hier encore son P.C. Sur ce dernier itinéraire ils rattrapent une colonne allemande à qui ils prennent cinq cents hommes et deux généraux. L’ennemi avait tenté de réagir; parmi nos manquants, il y a le nom du sous-lieutenant Peters.

 

*

 

Ce sera notre dernier combat. Depuis hier, nous avons à plusieurs reprises ouvert nos rangs à des allées et venues de parlementaires. Le 5 au soir, ordre nous arrive d’avoir à nous arrêter sur place à Salzburg, l’émissaire de Kesselring a signé la capitulation du groupe d’armées G, celui qui avait essayé de nous barrer la Lorraine et l’Alsace et dont les débris sont maintenant acculés à l’Autriche, de la Suisse à la Tchécoslovaquie.
Le 7 au matin, toujours sur nos positions, un télégramme nous apprend à son tour la capitulation générale de l’Allemagne, signée à Reims aux petites heures de la nuit. De notre guerre, à la fois dans le temps et dans l’espace, Berchtesgaden sera donc le point final.

Quelques-uns de nos officiers et de nos hommes entreprennent à leur tour ce matin-là l’ascension de l’ancien
« nid d’aigle ». Ils l’abordent par son versant rocheux, coupé de névés, et leur détour les amène d’abord au sommet voisin, face à l’immuable montagne.
Du chalet solitaire un peu en contrebas, désaffecté et intact, un malaise se dégage. Est-ce un relent de présence ? L’immense fausseté de cet esprit parti de là pour étendre son nuage sur le monde, brasser nos vies comme l’ouragan les feuilles mortes ne peut-elle comme ça, sans signe, s’évanouir, ni tout redevenir simplement comme avant ?
Ou le malaise vient-il des dix étages de souterrains, inexplorés et inquiétants, qui, là-dessous, rayonnent de la fameuse cage d’ascenseur ?
Les issues n’ont pu encore en être forcées. Mais l’office en haut est encore abondamment pourvu de Pommery et de Lanson. Et les verres de cristal aux initiales A.H. se remplissent devant chacun de nous sur l’immense table ronde, au centre de la mise en scène des baies de la rotonde. Quelques Américains nous ont rejoints.
Voilà comment nous avons terminé la guerre, à Berchtesgaden.

Drülingen, Obernai, Bénestroff et Diessen-am-Ammersee,

Janvier- Mai 1945

 

Compte rendu officiel transmis au 3e Bataillon du R. M. T.
par le Capitaine de CASTELLANE,
Commandant la 12e Cie du IIIe R. M. T.

 

A l’assaut du Nid d’aigle d’Hitler

 

Arrivés à BERCHTESGADEN le 4 Mai 1945 dans la soirée, nous venions d’y passer une nuit absolument calme, lorsque dans la matinée du 5, ordre fut donné au Capitaine de CASTELLANE de porter le reste de sa Compagnie en renfort d’une de ses Sections —la 2e— qui, depuis la veille au soir, sous les ordres du Lieutenant MESSIAH, occupait et gardait les habitations d’HITLER et de GOERING, et leurs dépendances.

A notre arrivée sur les lieux, le Capitaine de CASTELLANE reçut de la bouche du Lieutenant Colonel BARBOTEUX sa mission définitive : s’emparer de la fameuse redoute d’HITLER qui, tel un inaccessible nid d’aigle —d’où son surnom— coiffait le piton qui se dressait devant nous. Après toutes les déceptions éprouvées au cours de notre infructueuse chevau­chée sur les routes d’Allemagne, la perspective de cette proie encore vierge ne laissa pas d’enflam­mer toutes les énergies.
Le Capitaine de CASTELLANE constitua aussitôt une colonne composée d’une Jeep et de quelques Halft-Track appartenant à la 3e et à la Ve Sections, respectivement
commandées par le Lieutenant HEBLIG, l’Adjudant R. MARECHAL, et moi-même. La progression débuta par une marche au ralenti de la colonne sur une route jonchée d’abattis que les équipages eurent tôt fait de déblayer, pressés qu’ils étaient d’arriver au but. Les alentours de la route n’avaient rien d’hospitalier : d’un côté, des ravins bouleversés par des bombar­dements; de l’autre, une pente parsemée d’arbres et de rochers qui se fûssent admirablement prêtés à une mise en scène de maquis. La neige, peu à peu, fît son apparition, à demi fondue, mais de plus en plus épaisse. Les Halft-Track bientôt durent être abandonnées et la progression se poursui­vit à pied.

Le parcours était de plusieurs kilomètres. Route en lacets à travers la montagne. Temps de montée : 4 heures. Plusieurs tunnels à traverser, dont les sorties obstruées par la neige nous obli­geaient à ramper.
A la déception générale, —certains ne laissaient pas d’imaginer quelques fanatiques « S. S. » défendant jusqu’à la dernière cartouche l’ancienne retraite de leur FURHER— aucune fusillade ne vînt troubler notre paisible ascension; tout au plus, une de nos patrouilles de tête, commandée par le Sergent- BARBE, rencontra-t-elle trois Allemands qui, à son approche, se réfugièrent dans des ca­banes où elle n’eut pas grand mal à les cueillir. C’étaient des chasseurs alpins avec équipement de montagne. Deux d’entre eux furent immédiatement enrôlés pour nous guider jusqu’au Nid d’Aigle, et la progression se poursuivit sans incident.

Après avoir traversé quelques tunnels, et nous être péniblement frayé un chemin à travers la neige devenue de plus en plus abondante, nous parvînmes à un refuge où nous nous reppôsâmes quelques instants. Nous n’étions plus distants du Nid d’Aigle que de quelques centaines de mètres, mais la route à partir du refuge, se perdait sous une imposante épaisseur de neige. Seuls, à la demande du Capitaine de CASTELLANE, quelques volontaires parmi les plus sportifs, entreprirent sous mes ordres l’escalade qui s’avéra tout de suite fort difficile, le sol étant par endroits, recouvert de glace, et la pente si abrupte qu’il nous fallait parfois tenter plusieurs essais infructueux avant de réussir à la vaincre.

Cette ascension prenait de plus en plus figure de compétition sportive, et ce fût le soldat LHUILLIER Marcel, qui eût le mérite d’atteindre l’objectif le premier. Je le suivis de peu, accom­ pagné de quelques hommes, et l’exploration du Nid d’Aigle fût aussitôt entreprise.
Le décor était d’une sobre opulence : un vaste boudoir de forme circulaire et une salle à manger d’ameublement rustique en composaient les deux pièces principales. De larges baies s’ou­vraient sur un immense panorama : d’un côté, les Alpes aux sommets étincelants sous le soleil, de l’autre, les plaines de Bavière et du Tyrol s’étirant jusqu’à l’infini. On comprend qu’HITLER et ses fidèles satellites aient aimé se réunir, certains jours d’été, dans cette vertigineuse retraite d’où ils pouvaient à loisir dominer du regard une partie des territoires dont ils étaient parvenus à s’em­parer par la force éphémère de leurs doctrines et de leurs armes.
Quelques instants plus tard, le Capitaine du 64e d’Artillerie arriva à son tour sur les lieux, porteur d’un drapeau qu’il avait réservé pour la circonstance.
Nous nous réunîmes devant une fenêtre où il fût hissé dans un silence plus impressionnant encore du fait de l’isolement sauvage de cette demeure déserte.

Sur le chemin du retour, regardant flotter notre drapeau sur la façade du Nid d’Aigle, jecompris quelle signification saisissante revêtait pour nous Français, ce morceau de toile tricolore flottant si haut dans le ciel Allemand, à l’endroit même d’où, durant des années, HITLER avait pu narguer impunément la terre entière. Il manquait à notre Victoire une apothéose : je crois l’avoir découverte durant ces quelques inoubliables minutes.

LE 22 Mai 1945.
Signé : Sous-Lieutenant, R. CATELAIN.

Récit du général TOUYERAS


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La Division en Allemagne - Caravane N° 20 - 20 mai 1945

 

 

 

 

Le BERGHOF 1930s-1945
album récupéré par Paul Gloaguen 1re Bie du 22e GCFTA dans les décombres du Berghof au printemps 1945
Merci à Alain GODEC ( Tous Droits réservés )

 

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Note de fin de page :

Le Père du webmestre faisait partie de la 2ème section 12ème compagnie – 3RMT arrivée la première sur les lieux dans la soirée du vendredi 4 mai 1945

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