AMBULANCIÈRES – INFIRMIERS ET MÉDECINS
Extrait de LA 2e DB – Général Leclerc – Combattants et Combats – EN FRANCE
Notre Service de santé est une synthèse d’éléments, tous volontaires, venus de l’Empire, de la Métropole et même des États-Unis.
Le noyau originel a été constitué par le groupe sanitaire de colonne qui partit de Fort-Lamy en décembre 1942 pour suivre la «Colonne Leclerc» au départ du Tchad.
A ce noyau vinrent s’adjoindre les médecins et infirmiers servant au corps franc d’Afrique quand celui-ci fut dissous à l’issue de la campagne victorieuse de Tunisie. Il fut complété par les médecins et infirmiers évadés de France par l’Espagne pour venir servir dans les rangs des Forces françaises combattantes.
La Division compte maintenant 74 médecins, 4 pharmaciens, 7 dentistes, 11 officiers d’administration, 519 infirmiers et brancardiers, 90 ambulanciers et une équipe de 30 dans chacune des 3 compagnies du bataillon médical.
Une de ces trois équipes ambulancières est formée par des volontaires féminines dont les principaux éléments ont été recrutés en Amérique par Mme la commandante Conrad : c’est l’unité Rochambeau (1ère Compagnie médicale); une autre équipe est composée de 30 volontaires anglais (Quakers) affectés à la 3e Compagnie médicale. Une équipe de 9 ambulancières de la Marine sert à la 2e Compagnie médicale.
Ce personnel dispose de 209 véhicules, 58 ambulances, dont 19 sont le fruit d’un don obtenu par Mme la commandante Conrad aux Etats-Unis, 78 camions ou camionnettes, 26 half-tracks, 34 Jeeps et de 15 postes de radio.
La place nous manque ici pour dire l’importance du travail réalisé en temps de stationnement comme en temps d’opérations par l’ensemble du personnel sanitaire de la Division.
Indiquons simplement que pendant la campagne de France plus de 3.000 blessés relevés et traités d’urgence par le Service de santé des corps de troupes ont été ensuite soignés par les compagnies médicales de la Division et évacués sur les formations hospitalières américaines établies en arrière.
Ce chiffre élevé ne comprend ni les malades (plus de 2.000) ni les accidentés, malheureusement fort nombreux au cours d’une guerre de mouvement fertile en péripéties de toute sorte, au cours de la même période.
Il ne tient pas davantage compte des nombreux petits malades ou blessés qui, traités complètement sur place, n’ont pas dépassé l’échelon «corps de troupes» ou «compagnie médicale».
Depuis le débarquement en mai 1944 de la Division en Angleterre et pendant la campagne de France, notre Service de santé a fonctionné entièrement sur le type américain. Nos évacués à court ou à long terme ont bénéficié de la riche organisation et du large ravitaillement des hôpitaux d’évacuation et des hôpitaux généraux américains.
Les petits blessés et malades légers ou moyens traités à l’infirmerie divisionnaire, organisée avec les moyens du bataillon médical, ont pu être, eux aussi, soignés dans des conditions particulièrement satisfaisantes grâce à l’abondance, à la qualité des médicaments et du matériel généreusement fournis par nos alliés.
Le blessé reçoit les premiers soins d’urgence : pansement, sulfamides, hémostase, appareillage de fractures, injections tonicardiaques ou calmantes, grâce aux moyens sanitaires de l’extrême avant : personnel et matériel organiques des corps de troupes ou des sections de ramassage détachés dans les unités.
Il est ensuite évacué par les véhicules sanitaires des sections de ramassage ou des corps de troupes : ambulances, plus rarement Jeeps, dont quelques-unes sont munies de porte-brancards, voire half-tracks aménagés pour le transport des blessés sur la compagnie médicale la plus proche, qui est en principe celle de son groupement tactique.
C’est à la section de triage-traitement de cette compagnie médicale que sont effectués les actes médico-chirurgicaux si importants : révision des garrots, des appareillages, réanimations, transfusions, etc., qui permettront l’évacuation des blessés vers les formations de l’arrière dans les meilleures conditions possibles.
Aussi cette section, installée « dans le dur » ou sous tente, est-elle poussée vers l’avant aussi loin que le permettent la sécurité des blessés et la stabilité relative exigée par la minutie des soins qui leur sont donnés.
En cas d’avance ‘rapide, elle se dédouble en deux demi-sections, dont l’une se porte rapidement vers l’avant tandis que la seconde assure la continuité des soins pendant ce déplacement.
Ce système de progression est appelé par nos médecins procédé de la « rocade ». Il permet une adaptation très souple aux fluctuations (elles furent extrêmement rapides) du combat de la Division blindée, mais il n’est possible qu’avec un excellent entraînement du personnel : celui-ci fut astreint à de nombreuses manœuvres lors des stationnements en Afrique du Nord en en Angleterre.
En arrière de la Division se trouvent étagées les différentes formations hospitalières américaines :
Hôpital de campagne, subdivisé en « platoons », dont chacun est accolé à une division et doté de « teams » spécialisés dans toutes les branches de la chirurgie ; il est particulièrement destiné au traitement des grandes urgences : blessés de l’abdomen, du thorax, polyblessés, grands fracturés, hémorragies qui ne pourraient supporter une évacuation plus longue.
Hôpitaux d’évacuation.
Hôpitaux généraux, établis plus à l’arrière.
Par ses liaisons avec les directeurs du Service de santé de l’Armée et du Corps d’armée américains, le directeur du Service de santé divisionnaire obtient à l’arrière tous les moyens supplémentaires nécessités par l’afflux, prévu à l’avance, du nombre des blessés : équipes chirurgicales en renfort dans le « platoon » d’hôpital de campagne, voire affectation d’un deuxième « platoon », augmentation du nombre des ambulances américaines assurant les évacuations des compagnies médicales de la Division aux formations américaines, etc. Car le Service de santé de la Division est pratiquement dégagé de tout souci vers l’arrière puisqu’une section d’ambulanciers américains (10 voitures et davantage en cas de besoin) est accordée à chacune de nos trois compagnies médicales et assure les évacuations des sections de triage-traitement vers les hôpitaux de campagne et d’évacuation américains.
Enfin, des hôpitaux généraux, la totalité de nos blessés à long terme aboutissent ultérieurement, par trains sanitaires, au Val-de-Grâce ou à d’autres formations spécialisées françaises de la région parisienne.
Que dire des traitements modernes appliqués à nos glorieux blessés dans les hôpitaux de l’arrière, sinon que leur mise en œuvre a permis de sauver de précieuses et innombrables vies !
Nous avons été particulièrement frappés par la perfection et la sécurité des procédés d’anesthésie en « circuit fermé » pratiqués dans les hôpitaux alliés par des spécialistes éminemment qualifiés, par les transfusions massives qui ont permis de véritables résurrections et des interventions dans les meilleures conditions possibles, par les magnifiques résultats dus à l’emploi quasi systématique de la pénicilline, qui évite des septicémies mortelles, par le luxe et la qualité des soins pré- et postopératoires.
Grâce à la conjugaison de tous ces moyens, des statistiques exceptionnelles sont actuellement enregistrées : c’est ainsi que 70 à 80 % des grands blessés de l’abdomen et du thorax peuvent être sauvés, pourcentage infiniment supérieur à celui de la guerre de 1914-1918. Voilà, très succinctement exposé, le fonctionnement de notre Service de santé et de ses arrières.
Ces quelques faits dans leur sécheresse ne mettent pas en évidence le mérite des exécutants, qui ont dû s’adapter à des méthodes nouvelles et qui, après avoir servi en Afrique dans des conditions souvent très dures et si différentes, ont eu à s’initier rapidement au fonctionnement du Service de santé américain. Ils ne rendent pas davantage compte du courage, du dévouement montrés au vif du combat, lors de la relève et de l’évacuation des blessés. Le combattant est soutenu par son action, par toute la tension de sa volonté vers l’adversaire. Quand un camarade tombe, on le panse sommairement, on lui fait un garrot, on le couche au creux d’un fossé, puis on repart. Nos équipes arrivent dans le même combat, mais elles, au contraire, pour en voir toute la souffrance. Elles cherchent sous les baltes l’homme resté accroché au char et qui saigne, poussent l’ambulance au plus près, commencent ce long et difficile transport d’une chair mutilée qu’il faut raccrocher à la vie. Les médecins se penchent, s’inquiètent, renaissent à l’espoir, opèrent pendant d’immenses journées et d’immenses nuits.
Sans aller chercher des tableaux aussi sombres, une de nos ambulancières (elles vont toutes à l’extrême avant, multiplient les allées et venues dans la zone la plus dangereuse, sont elles-mêmes tuées ou blessées) va vous raconter après moi comment dans la forêt d’Ecouves elle fut, bien malgré elle, l’hôtesse des Allemands…
Et je regrette de ne pouvoir reproduire in extenso le récit de captivité d’un de nos ambulanciers Quakers, M. Waterfield, fait prisonnier en septembre 1944 vers Dompaire lors d’une difficile évacuation de blessés et délivré par son groupement tactique quelques mois plus tard à Strasbourg.
Bien souvent nous évoquâmes avec inquiétude sa bucolique silhouette d’hellénisant, constamment courbée dès qu’elle disposait de quelques instants sur son inséparable Eschyle. Mais heureusement M. Waterfield avait conservé, unique propriété pendant sa captivité, son livre de grec…
Le médecin lieutenant-colonel RICHET.
Un épisode de guerre de notre groupe d’ambulancières
Après une nuit et une journée très agitées au fameux carrefour du « Cercueil », dans la forêt d’Ecouves, des évacuations nombreuses nous ont coupés de notre sous-groupement, qu’il nous faut rejoindre d’urgence.
Voici la Jeep de notre capitaine, et nous saurons ainsi que nous devons foncer sur Ecouché, où se trouve déjà le gros du «ramassage» de la ire Compagnie. Mais des ambulances et des Jeeps déversent encore sur nous des blessés que nous devons évacuer sur Sées. Il est fort tard dans cette nuit du 13 au 14 août lorsque notre petite colonne sanitaire peut enfin, au complet, s’engager sur la route d’Ecouché. Mais, qu’importé ! le chemin est sûr pour avoir été emprunté toute la journée par un grou-pement tactique.
J’ai quatre ambulances conduites par des conductrices et le médecin auxiliaire Valéry, un half-track pour transporter ses brancardiers.
Minuit, une nuit très sombre que troue seule la lueur du canon. Nous traversons un bois et le bombardement s’intensifie si violemment que nous décidons de stopper dans cet abri naturel pour attendre un peu de calme. Je suis en tête de mes conductrices dans une invraisem-blable ambulance de récupération, une voiture de maraîcher de l’Eure-et-Loir à peine aménagée, car mon propre véhicule a été endommagé la nuit précédente. Ma coéquipière s’est assoupie. Moi-même je lutte contre le sommeil, car depuis trente-six heures nous n’avons pas connu une minute de repos.
Dans cette demi-conscience j’aperçois soudain, sans presque l’avoir entendu venir, un immense char qui, sur l’étroite route, s’arrête à moins de 30 mètres de mon capot. De véritables grappes humaines le montent. Sherman ? Un char français ? Nos Sherman n’ont pas cette taille gigan- tesque. Les Américains sont dans le secteur, aucun doute que ce ne soit eux. Mais, entre deux coups de canon, j’entends des voix, je tends l’oreille… un mot me frappe : «Etwas»… Je ne sais guère l’allemand, mais j’ai compris, au point que mon sang se fige ! Je murmure à ma coéquipière : « Ne bouge pas ! Nous sommes dans les mains des boches…» et je me glisse hors de la voiture, du côté du fossé. D’ambulance en ambulance et au half-track, je passe la nouvelle, enjoignant à tous de ne pas sortir des véhicules. Le docteur Valéry, surtout, me semble à la fois pour lui et pour nous représenter le plus grand danger, car déjà bien avant la guerre il eût été une bonne prise pour les nazis, qui avaient de solides raisons de ne l’aimer guère. Il ne faut donc, à aucun prix, qu’il soit vu de nos visiteurs inattendus.
Après m’être délestée dans le fossé de quelques papiers inopportuns, je marche sans enthousiasme vers le char, en demandant à quelques ombres qui en sont descendues, dans une langue des plus vagues, à parler au chef, et c’est ainsi que je fais la connaissance du gradé S. S. qui commande le convoi… car c’est bien un convoi dont j’aperçois dans la nuit les ombres gigantesques. Un Alsacien traduit : « Etes-vous Américaine ? » Un instant j’ai la tentation de mentir, car cela nous serait profitable. Mais non : «Française Croix-Rouge »; puis un conciliabule auquel je ne comprends rien. Un homme est détaché, que je suis, très inquiète. Il ouvre la porte de mon ambulance, puis celles des deux suivantes. Les femmes, silencieuses, ne bougent pas. Mais il ne faudrait pas qu’il continue, car, à l’arrière, il y a le half-track et les hommes qui pourraient tout gâter. Mon énervement me donne le courage de me fâcher : «Alles Frauen », dis-je en prenant son bras avec énergie… et il n’insiste pas… Ouf ! nous retournons auprès du chef. Je pose à mon tour des questions. Je voudrais savoir ce qui se passe derrière eux et si nos forces ont été contre-attaquées, si l’ennemi occupe le terrain. On me répond : « Blitz… Alles Kaput… keine Franzosen… kein Amerikaner mehr », mais mon interprète me murmure : « Ce n’est pas vrai. » II s’agit de ne pas être emmenés. Je tente de plaider notre cause : « Des femmes… sans intérêt… et puis nous soignons aussi bien des Allemands… » Nous les embarrasserions… D’ailleurs, ils ont l’air las et indécis, veules…
Il est convenu que la colonne passera et que nous rediscuterons ensuite. Assise au volant de mon ambulance, que heurte au passage sur l’étroit chemin chacun des véhicules, je compte six énormes chars et douze véhicules blindés. Le tout littéralement recouvert d’hommes, comme les tramways de Marseille à l’heure des sorties du travail. Ils passent lentement, interminablement, et le dernier vient bloquer la route, tout contre ma voiture.
Dans l’ombre, alors que je discutais tout à l’heure, ma petite coéquipière, mal éveillée et ne comprenant pas mes paroles, s’est glissée au dehors. Elle voit une ombre et croit reconnaître l’un des nôtres : « C’est vous, Husan ? — Non, je suis un Allemand et vous, vous êtes une demoi-selle. C’est bon de voir une demoiselle… moi, je n’ai pas revu ma femme depuis cinq ans. C’est bien malheureux, la guerre, pour tout le monde ! » Quel dialogue dans la nuit !…
Mais on vient m’appeler. Le chef me convoque, et la difficile discussion reprend. Ai-je été éloquente ? Enfin, la sentence tombe en allemand. On nous laissera là, à la condition que nous nous engagions à ne pas démarrer avant deux heures.
La dernière A. M. allemande est partie. Valéry, qui a surgi de la nuit, et moi nous nous concertons rapidement. Il nous faut partir immédia-tement, prévenir au plus tôt, car le Q.G. est derrière nous, vers Mortrée, et le capitaine Sarrazac, sa compagnie et ses spahis vers Argentan ; pas une minute à perdre. Le G.T.L. est tout près (je le sais par hasard), à Montmerrei, sur une route latérale. Il est plus sûr de le joindre, car peut-être vers Ecouché risquerions-nous d’autres fâcheuses rencontres. Christiane Petit, qui s’est approchée, connaît le chemin, c’est elle qui nous guidera et qui fera au tout petit jour avec moi cette apparition ahurissante au command-car, dans lequel dort le colonel de Langlade. Quel réveil !… Notre odyssée paraît invraisemblable. Mais le commandant Mirambeau nous a vues et accourt. Les cartes s’ouvrent, les ordres par radio fusent, le «Piper» est alerté, tout est mis en œuvre instantanément pour arrêter nos ex-compagnons, tandis qu’un café chaud achève de nous remettre de nos émotions.
SUZANNE TORRES.
SOUVENIRS D’UNE AMBULANCIERE
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